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10 mars 2013 7 10 /03 /mars /2013 16:08

La question de l'existence de Dieu est la première des questions philosophiques [1].

 

Quiconque s'interroge sur sa vie et sur toutes les réalités qui l'entourent ne peut pas, à un moment donné, ne pas se poser cette question fondamentale entre toutes : à quoi dois-je mon existence? Celle-ci est tellement prodigieuse, miraculeuse [2], que je ne puis me demander d'où elle vient : de l'Univers lui-même ou... d'un Autre?

 

Ce réel que je perçois autour de moi, et qui réalise des merveilles - dont celle de ma propre existence - est-il la totalité du réel, ou bien... y en a-t-il un autre, caché, mystérieux, mais tout aussi réel, que me dévoile mon existence même, les prodiges qui m'environnent, l'Univers tout entier? - tel le bouquet de fleur révélant à la fiancée l'amour de son fiancé.

 

N'y a-t-il que de la matière? que du monde? que de la Nature? Ou bien la réalité sensible me laisse-t-elle entrevoir une autre réalité : un Amour, à la source de mon être, qui me comble de ses dons?

 

Certains affirment que la question de l'existence de Dieu est incongrue ; qu'elle ne se pose pas [3]. Mais ils se trompent (et ils nous trompent). Car eux-mêmes se la sont posée - qu'ils l'admettent ou non - et l'ont résolu à leur manière : en décrétant avant toute analyse, au nom de l'évidence, que l'Univers est le seul être et qu'il n'en est pas d'autre. Si l'Univers est le seul être, alors en effet : la question de Dieu ne se pose pas puisque la voilà par avance résolue! Mais il s'agit d'un présupposé dont il convient précisément de vérifier la légitimité - en la soumettant à une critique rationnelle.

 

D'autres admettent que la question se pose effectivement. Que notre univers est trop "étrange" (pour reprendre l'expression de Georges Lemaître) et notre vie trop improbable pour ne pas s'interroger sur le fondement ultime de l'être - et poser, comme hypothèse plausible, l'existence de Dieu. Cependant, avertissent-ils : "Vous aurez beau chercher, vous ne trouverez pas de solution définitive au problème. La question de l'existence de Dieu est insoluble." Et ils invoquent à titre de preuve le désaccord régnant entre les philosophes - chacun ayant sa propre théorie. Le fait que les grands penseurs de notre humanité ne soient pas parvenus à s'entendre sur un sujet aussi essentiel montre assez bien, selon eux, que l'on ne peut acquérir aucune certitude en la matière.

 

Mais le désaccord entre les philosophes ne démontre nullement que la question est insoluble! Il révèle simplement que la question est difficile. Après tout, parmi toutes les théories existantes, peut-être en existe-t-il de satisfaisantes, tandis que d'autres pourraient être aisément écartées? Pour le savoir, il faut examiner ces théories en présence pour voir ce qu'elles valent "car comment savoir [si le problème est insoluble], alors que l'on n'a même pas encore commencé de [le] traiter, et qu'on ne [l'a] pas encore correctement posé?" [4]. On ne peut savoir a priori si la question est insoluble. On le saura si, après analyse, il s'avère qu'aucune théorie n'est satisfaisante sur le plan rationnel - c'est-à-dire : conforme à la réalité objective [5].

 

Mais nos agnostiques voient avec beaucoup de réticence ce type d'analyse. Il se méfient des raisonnements métaphysiques. Ils estiment qu'il n'est de connaissance certaine que scientifique ; que la raison humaine est incapable, par elle-même, d'atteindre des vérités métaphysiques s'imposant à tous. La vérité ultime de toute chose, pensent-ils, est hors de portée de notre raison. Elle est inaccessible. Chacun a donc le droit de se faire son opinion. Mais nullement d'imposer la sienne aux autres. Parce qu'on ne peut pas SAVOIR. Juste CROIRE. Croire que Dieu existe. Croire qu'il n'existe pas. Ou croire qu'il est préférable de suspendre son jugement sur cette question, en l'absence de certitude. La métaphysique ne présente guère d'intérêt à leurs yeux. Elle est une entreprise vaine, vouée à l'échec. Parce que pure spéculation.

 

Que la raison humaine soit limitée, nul n'en disconvient. L'homme est un être fini, il n'a pas en lui-même la Connaissance de tout ce qui est. La réalité le dépasse - il n'en est qu'une infime partie. Il n'est pas Dieu. Il ne peut tout savoir, tout connaître ; son intelligence est limitée - cela tient aux limites de sa propre nature. Mais comment situer les limites de la raison humaine? Où fixer la frontière entre ce qui est accessible à la raison et ce qui ne l'est pas? Est-il légitime d'affirmer qu'il n'est de connaissance possible que scientifique - ou dit autrement : qu'il n'est de science que positive?

 

Que savons-nous au juste de la raison - de ses capacités et de ses limites?

 

Dans le domaine des sciences, nous découvrons que les possibilités de notre raison sont plus grandes que nous le pensions. "Savoir ce qui est rationnel et le distinguer de ce qui ne l'est pas, cela ne peut se déterminer absolument a priori. C'est le réel qui est seul juge en la matière. Ce qui paraissait irrationnel à telle époque est reconnu rationnel ultérieurement, parce que vérifié. La rontondité de la terre, la circulation de la terre autour du soleil, les antipodes, la filiation des espèces les unes à partir des autres, la théorie ondulatoire, toutes les découvertes scientifiques, en un mot, ont révolutionné une certaine rationalité (...). Il a paru absurde que des hommes se tiennent la tête en bas aux antipodes : cela ne nous paraît plus absurde, parce que nous savons que cela est, et que nous avons réformé notre conception du haut et du bas. La circulation de la terre autour du soleil ne nous donne plus le vertige et nous savons qu'un corps peut en mouvoir un autre sans le toucher (...). En fait, le rationnel, c'est ce qui est. Nous ne préjugeons plus du possible et de l'impossible en science [6]. Nous savons que toute la marche en avant de la pensée scientifique moderne a consisté à renverser une prétendue évidence commune et reçue de la rationalité (...). Nous ne pouvons plus parler de la raison comme d'un organe (...). La raison n'est pas un organon. C'est une exigence, mais une exigence dont nous ne pourrons connaître le dernier mot que lorsque nous aurons achevé la science. Qu'est-ce que la raison? Nous ne pourrons répondre à cette question qu'à la fin de la recherche humaine (...).

 

"Cette position n'implique ni n'entraîne aucun scepticisme en ce qui concerne la raison, ni aucune tentative pour "amollir" la dureté nécessaire de l'exigence rationnelle. Au contraire. Elle veut éviter qu'un dogmatisme plus subtil que le dogmatisme naïf de l'époque précritique ne vienne (...) déterminer a priori des limites à un exercice de connaissance du réel lui-même. L'aventure de la raison, nous n'en connaîtrons la limite, si limite il y a, qu'au terme de l'exploration, si terme il y a. Ce qui est rationnel, ce qui ne l'est pas, c'est le réel qui nous le dira." [7]

 

Si nous savons que la raison humaine a ses limites, nous n'en connaissons pas les contours. Nous savons que la raison est un pouvoir - le pouvoir de penser. Mais nous ne connaissons l'étendu de ce pouvoir qu'en l'exerçant à partir du réel. C'est le réel, à mesure qu'il est connu, qui repousse sans cesse les limites de notre raison.

 

Cela impose au raisonnement métaphysique - s'il veut avoir quelque chance d'atteindre la vérité -, une méthode : rester fidèle à l'enseignement du réel - n'admettre pour vrai que ce qui est conforme à l'enseignement de l'expérience. Si l'on retient cette méthode - qui est la méthode scientifique - ; si l'on utilise, dans notre démarche rationnelle, le réel comme point de départ et si l'on y revient sans cesse comme critère ultime de vérification, pourquoi récuserions-nous la métaphysique? Pourquoi lui dénierions-nous le statut de science? Pourquoi ne parviendrait-elle pas à nous faire connaître, elle aussi, des vérités certaines? De quel étrange mal serait-elle affectée pour être incapable de nous conduire à de plus hautes vérités que celles enseignées par les sciences "dures"? Pourquoi une méthode ayant fait ses preuves en science ne produirait-elle pas aussi de bons résultats en métaphysique?

 

Je peux, si je veux, renoncer à l'exercice de ma raison sur une question que j'estime par avance insoluble - du fait qu'elle nous conduise au dehors du champ de notre connaissance expérimentale, en des zônes où l'on présuppose n'être capable d'aucune certitude rationnelle. Mais "je renonce alors à tout un secteur de l'exercice de ma raison, je renonce à exercer ma raison selon certaines exigences qui lui sont connaturelles. Je dois donc réprimer cette exigence constitutive de ma raison, la refouler, l'interdire. Je fais alors un acte de répression qui, lui, n'est pas conforme à l'exigence intime de mon besoin de rationalité. Je cède à une prudence, ou à un défaitisme de la pensée, qui n'a pas de justification rationnelle contraignante." [8]

 

Si la première position ["La question ne se pose pas"] est dogmatique, trop dogmatique, arbitrairement dogmatique - puisque l'ontologie qu'elle nous impose n'est pas justifiée -, la seconde ["La question est insoluble"] est sceptique, trop sceptique, arbitrairement sceptique - puisque l'on rejette par principe la métaphysique comme une divagation de l'âme inscusceptible de nous communiquer la moindre certitude. Mais il faudrait nous dire pourquoi la raison serait incapable de voir au-delà de la réalité objective - pourquoi la fiancée serait incapable de percevoir l'amour de son fiancé à partir de la réalité empirique des fleurs reçus à son domicile?

 

La réflexion métaphysique n'est pas un jeu arbitraire de l'esprit, un passe-temps d'intellectuels en mal de distractions, mais le mouvement naturel de la pensée humaine s'efforçant de comprendre le donné empirique qu'elle découvre dans l'activité scientifique. Le raisonnement métaphysique peut être conduit avec la même rigueur que les sciences positives - lorsqu'elle leur emprunte leur méthode propre, la méthode déductive [9].

 

A y bien regarder, la position agnostique conduit à brimer la pensée dans son développement au nom d'une idée fausse de la raison qu'on présuppose incapable de connaître des vérités transcendant l'expérience objective. Mais cet agnosticisme lui-même n'est pas respectueux du réel : il ne voit pas que sans cesse, dans sa vie la plus courante, l'homme procède à des raisonnements métaphysiques qui lui donnent de vraies certitudes (par ex. je trouve des lunettes sur mon bureau - je devine que quelqu'un les a laissé là ; j'écoute une oeuvre de Bach - je réalise que cet homme était un génie, alors que je ne l'ai jamais connu ; je vais à un spectacle de marionnettes - je sais bien que ce ne sont pas elles qui parlent, mais des gens cachés qui les meuvent ; je sens un parfum dans une pièce - je découvre qu'une femme y est passée, quand bien même je n'y étais pas pour le constater de visu...)

 


[1] Cf. notre article du 23 décembre 2012, La question fondamentale - absolument première.

[2] Cf. notre article du 23 septembre 2012, Notre vie est un miracle.

[3] Cf. notre article du 3 février 2013, Ceux qui disent que le problème ne se pose pas.

[4] Claude Tresmontant, in Comment se pose aujourd'hui le problème de l'existence de Dieu, Editions du Seuil 1966, p. 54

[5] Cf. la citation de Claude Tresmontant, Qu'est-ce qu'une pensée rationnelle?

[6] Cf. nos articles du 21 janvier 2012, Du possible au réel? et du 9 avril 2012, Du réel au possible (le vrai mouvement de la pensée humaine).

[7] Claude Tresmontant, in Essai sur la Connaissance de Dieu, Les Editions du Cerf, 1959, pp. 35-37.

[8] Ibid., pp. 33-34.

[9] Cf. notre série d'articles, De la bonne méthode de raisonnement philosophique.

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