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31 décembre 2013 2 31 /12 /décembre /2013 00:00

Retour sur l'intense disputatio avec Loïc, en commentaire de l'article "Ceux qui disent que le problème ne se pose pas". Compte tenu de la richesse de cet échange, et parce qu'il nous permet d'entrer dans le fond de la pensée de Claude Tresmontant, nous le reproduisons ici en une série d'articles qui nous permettra d'isoler les thématiques et de les approfondir au besoin.

 

Commentaire n°6 :

 

Suite à nos précédents échanges, Jean Alardin et Jérémy Marie interviennent dans le débat. Dans une réponse à ce dernier, Loïc écrit deux choses qui me font réagir.

 

"Sur le caractère résolument scientifique de vos conclusions métaphysiques, il faudra m’expliquer, sachant qu’il s’agit de deux registres distincts. Une conclusion métaphysique ne peut pas être scientifique par définition et inversement, une conclusion scientifique ne saurait relever de la métaphysique. Ce que vous faites, à l’examen, c’est partir de faits scientifiques et les tordre, afin de les faire correspondre à votre conception métaphysique. Malheureusement pour vous, outre le fossé infranchissable qui sépare le scientifique du métaphysique, les faits sont têtus, comme dirait l’autre.

 

"Sur la citation de Polkinghorne, je m’amuse que ce monsieur juge « surprenante » la possibilité du vide quantique comme origine éternelle, mais qu’il estime en revanche tout à fait normal et satisfaisant pour la compréhension de recourir à Dieu. Pour ma part, en tant qu’athée, ce n’est pas que ‘Dieu’ ne me plaît pas comme réponse (au contraire, je dirais, mon narcissisme préférerait que Dieu existe), mais tout simplement que je ne vois pas ‘Dieu’ comme une réponse – plutôt comme une question supplémentaire : une fois qu’on a dit « Dieu », non seulement on n’a pas gagné en connaissance sur le monde, mais qui plus est on a troqué un inexpliqué contre un inexplicable, ou encore un problème contre un mystère.  

 

Réponse :

 

Si vous me permettez, cher Loïc, de m'insérer dans votre dialogue avec Jérémy, je souhaiterais réagir à deux de vos affirmations dans ce dernier commentaire.

 

"Une conclusion métaphysique ne peut pas être scientifique par définition..." Je pense qu'il y a là une confusion sur le sens du mot "scientifique" - que vous n'entendez pas tous deux de la même manière. Quand vous parlez de "science", Loïc, vous entendez : les sciences positives. Quand Jérémy parle de science, il en parle au sens philosophique du terme - qui englobe les sciences positives mais plus largement aussi : la philosophie, et pour un penseur chrétien, la théologie. La notion philosophique de science comprend toutes les certitudes intellectuelles auxquelles l'homme peut parvenir, que ce soit au moyen des facultés naturelles de sa raison ou au moyen de la Révélation divine. La Science est la connaissance certaine et définitive que nous avons du réel (même si, bien entendu, cette connaissance, quelque définitive soit-elle, reste ouverte à des perfectionnements futurs à mesure de nos découvertes : la Vérité est d'une richesse inépuisable). En ce sens, la métaphysique est une science - science de l'être -, comme les sciences positives sont une science - science de la matière - et comme la théologie elle-même est une science - science de la révélation.

 

"... et inversement, une conclusion scientifique ne saurait relever de la métaphysique." Trois choses : si l'on remonte à la source de la science, on verra qu'elle est une branche de la philosophie réaliste d'Aristote appliquée à la seule matière. La science n'est pas neutre sur le plan métaphysique - elle présuppose admis un certain nombre de notions fondamentales et de principes fondamentaux qu'il ne lui appartient pas d'expliquer et de justifier (car ce n'est pas son domaine propre), mais dont il convient néanmoins de rendre compte sur le plan de l'intelligence : ce qui sera précisément le rôle de la métaphysique.

 

2e chose : La science s'est structurée et développée en une discipline autonome par rapport aux autres branches de la philosophie (dont la métaphysique) autour d'une méthodologie appliquée à un objet particulier (l'univers, considéré en tant qu'il est matériel) qui lui donne d'obtenir des résultats qui font l'admiration du monde entier. Il importe, si l'on veut être fidèle à cette discipline, d'avoir bien conscience à la fois de ses potentialités et de ses limites ; de connaître quand l'on outrepasse ses limites et quand l'on entre dans un autre domaine de la pensée rationnelle. Mais il importe aussi de ne pas mépriser les branches "soeurs" de la philosophie réaliste d'Aristote, en particulier cet autre domaine qui utilise la même méthodologie que les sciences positives (inductive et expérimentale) appliquée à l'univers considéré non plus cette fois seulement en tant qu'il est matériel, mais en tant qu'il est - dans son être même. Car si la méthode expérimentale a donné des résultats abondants dans le domaine des sciences positives, on ne vois pas a priori pourquoi elle n'en donnerait aucun dans le domaine métaphysique.

 

Troisième chose enfin : les conclusions scientifiques sont l'aliment naturel de la métaphysique. Il ne s'agit pas de "tordre" les faits, mais de les "presser" pour en faire sortir tout le jus métaphysique qu'ils contiennent en eux-mêmes. Il convient d'examiner ce que tel fait présuppose ontologiquement pour être ce qu'il est comme il est. Rien de plus, rien de moins.


"une fois qu'on a dit "Dieu", non seulement on n'a pas gagné en connaissance sur le monde..." On n'a pas gagné en connaissance sur le monde, dites-vous? Notre échange, me semble-t-il, démontre le contraire, puisque vous n'êtes pas capable de faire la différence entre une pierre et un homme!  Comme l'écrit le pape François dans sa première encyclique - sur la Lumière de la Foi"Le regard de la foi chrétienne a apporté de nombreux bienfaits à la cité des hommes pour leur vie en commun! Grâce à la foi, nous avons compris la dignité unique de chaque personne, qui n'était pas si évidente dans le monde antique (...). Au fil de l'histoire du salut, l'homme découvre que Dieu veut faire participer tous, en tant que frères, à l'unique bénédiction qui atteint sa plénitude en Jésus, à travers la présence du frère. La foi nous enseigne à voir que dans chaque homme il y a une bénédiction pour moi, que la lumière du visage de Dieu m'illumine à travers le visage du frère."

 

"...mais qui plus est on a troqué un inexpliqué contre un inexplicable, ou encore un problème contre un mystère." Dieu inexplicable? Mais ce n'est pas parce que Loïc ne veut pas comprendre que Dieu est inexplicable pour tous!  Peut-être est-ce le mot Dieu qui vous gène?... Alors prenons le mot Être. Vous admettez qu'il n'y a pas lieu de s'étonner que l'Être soit - ce qui est FAUX du point de vue de l'être de l'univers (dont Georges Lemaître aimait à souligner "l'étrangeté") mais VRAI du point de vue de l'être nécessaire, puisqu'il est admis par tous les courants de la philosophie que le Néant absolu ne peut être premier (si tel était le cas, il n'y aurait aucun être existant, puisque du néant rien ne peut naître spontanément). Dieu n'est pas inexplicable en tant qu'Être nécessaire incréé - puisqu'il en faut un et que l'univers ne peut être celui-ci.

 

Dieu n'est pas absolument inexplicable non plus en son essence, puisque l'intelligence humaine s'en fait quelque idée : Dieu, en tant qu'être nécessaire, est incréé, transcendant, infini, éternel, créateur, tout-puissant, intelligent, personnel, vivant et opérant. On peut donc dire pas mal de choses de lui.

 

Enfin, Dieu n'est pas absolument inexplicable dans la mesure où, en tant qu'être personnel vivant et intelligent, il vient lui-même nous révéler son mystère : de manière partielle et progressive tout d'abord à Israël par les patriarches et les prophètes, puis de manière complète et définitive en Jésus-Christ, Fils de Dieu fait homme, mort et ressuscité pour notre salut - dont l'Eglise est le prolongement corporel dans l'histoire des hommes.

 

Dieu reste malgré tout infiniment mystérieux pour nous les hommes, je vous le concède. Cela tient à sa nature même - infinie - qui dépasse tout ce que notre nature - finie - peut saisir et comprendre. Mais qu'y a-t-il d'étonnant à ce que le Créateur de l'univers soit infiniment plus mystérieux que la réalité naturelle qu'il créé? Comme l'écrit le chimiste Robert Shapiro - non suspect de connivence avec le christianisme - avec son solide bon sens : "Si une montre est complexe, alors son créateur ne peut être que plus compliqué encore. Un être capable de bâtir un horloger serait certainement le plus compliqué du lot." (in L'origine de la Vie, Champs Flammarion 1994, p. 155) Dieu est donc à la fois la plus simple des explications ("trop simple" nous disent même certains  athées) et la plus complexe des réalités (ou la plus riche - je préfère cette expression).

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