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18 septembre 2012 2 18 /09 /septembre /2012 19:07

Comment parler de Dieu - HadjadjIl est convenu d’approcher l’être humain en tant qu’être de symbole et/ou être de nature. Fabrice Hadjadj semble n’avoir d’yeux que pour la première définition. Il a trop peur de sombrer dans le positivisme en abordant la seconde alors qu’elle compte tout autant, même si dans cet essai qui vient de paraître aux éditions Salvador, Comment parler de Dieu aujourd’hui ?, il tente d’associer la parole et l’être… dans son intégralité.

 

Philosophe, professeur et dramaturge, Fabrice Hadjadj est surtout connu dans le paysage culturel pour avoir écrit des essais caustiques sur l’actualité, avec un regard de « catholique ». Habile déconstructeur de notre petit confort quotidien, il n’hésite pas à mettre en oeuvre son esprit de finesse au service d’une critique implacable des « tendances » politico-religieuses ou anthropologiques qui secouent notre modernité, partagée entre écologisme, fondamentalisme, technocratie, trans-humanisme.

 

Si « L’utopie du progrès est la seule barrière contre la barbarie. » selon Max Gallo, « Les totalitarismes nous ont prodigué la démonstration que l'utopie du progrès débouchait sur l'empire de la terreur. » (p. 176) aux yeux de Hadjadj.

 

Bien que son meilleur livre reste sans nul doute Mystique de la chair, il faut aussi souligner certaines lignes redoutables rencontrées dans La foi des démons, Réussir sa mort : anti-méthode pour vivre, Essai sur le paradis : une joie qui dérange.

 

« Reprise d’une conférence prononcée le 26 novembre 2011, à l’invitation de son Eminence le cardinal Stanislas Rylko, durant l’Assemblée plénière du Conseil pontifical pour les laïcs », Hadjadj prend le parti du balbutiement contre le moralisme et le lecteur pourra être touché d’une telle humilité. « L’apôtre qui balbutie comme un homme ivre vaut mieux que celui qui parle comme un livre. » (p. 13)

 

L’essai entend s’interroger sur les modalités de la parole dans le sens du discours chrétien : Comment dire la Parole ? Comment se prétendre parole alors qu’on ne vaut pas mieux qu’un clown ?

 

L’auteur préfère le dialogue et l’échange à la com’ qui incite à consommer : « Dans la parole, le matériel et le spirituel s’épousent indissolublement. » (p. 87)

 

Dans ces conditions, la fameuse « liberté d’expression » finit par se révéler « insidieuse censure », dans la mesure où elle renonce « à la patience de toute pensée véritable, au balbutiement de toute parole nouvelle. » (p. 82)

 

Le philosophe s’offre l’occasion de déconstruire l’utilitarisme, non sans un brin de malice : « Tandis que les autres animaux, par leur communication, ramènent tout ce qui existe au circuit de leur utilité, l’homme, par sa parole, se porte au-delà de ce qui est utile, pour désigner les choses telles qu’elles sont. » (p. 92)

 

Le clown contre le bouffon

 

Alors, comment échapper au piège réceptif de la com’ sans passer par une parole complaisante ? Avec Fanciouille. Avec le clown, ce champion du contemplatif.

 

Si « le comique fait rire en général, tandis que le bouffon se moque des autres. » (p. 126), le clown rejoindrait presque le rire universel baudelairien (catholique, en somme) qui consiste à rire de sa propre chute. Il s’agit là d’un « sérieux métaphysique » :

 

« Le [comique] dispose d’un savoir-faire, le [bouffon], d’une tête à payer. Or le clown, s’il fait rire, c’est sans astuce et presque toujours à ses dépens. Et, s’il a une certaine disposition vis-à-vis d’autrui, ce n’est pas de la moquerie, mais l’admiration. En vérité, le clown est très sérieux, il prend même tout avec un sérieux immense, ne fût-ce que le simple fait de respirer ou d’avoir à faire un pas. » (p. 126)

 

Le chrétien est donc un clown ; il ne « cherche pas à faire drôle, mais il est drôle à ses dépens. » (p. 128) Loin de faire de la figure du clown le sommet de l'absurdité, Hadjadj rejoint l'humanisme intégral de Maritain en reconnaissant que « les dogmes de la foi ne sont pas absurdes, ils sont super-rationnels » (p. 129)

 

Tradition acosmique ; tradition thomiste

 

Hélas, il est à craindre qu’on n’entendra jamais Hadjadj en dehors de la sphère « catho ». Le « pont » n’est pas fait ; il ne sera pas fait tant qu’un philosophe n’aura pas cherché à casser le mur entre la méta- et la physique. Tant que le liant ne sera pas fait, les livres d’Hadjadj seront réduits au rayon « spiritualité », « religiosité », « sagesse », comme autant d’aliments du rayon surgelé.

 

J’affirme donc ma peine de voir ce constat, emblématique de la tradition philosophique française, essentiellement littéraire.

 

Voici la grande différence, abyssale, avec Tresmontant. Si Tresmontant a écrit Comment se pose aujourd’hui le PROBLEME de l’existence de Dieu, Hadjadj écrit Comment PARLER de Dieu aujourd’hui ?, comme si le « problème » était évident, comme si on avait répondu le plus sereinement du monde aux cris d’un Michel Onfray. Eh bien non !

 

Tant qu’on n’aura pas répondu à cette question, quitte à passer pour un illuminé ou un prétentieux (c’est le prix à payer), on se condamne à faire de l’élitisme malgré soi. Hadjadj reste dans le verbe et il le fait très bien. Tresmontant, lui, remarque des faits qui, précisément, réduisent l’athéisme ou l’agnosticisme à du pur verbalisme et rien d’autre.

 

Nous sommes bien obligés de le constater : Hadjadj ne sort pas de la critique de l'athéisme avec les outils du discours et de l’esthétisme. C'est fort bien lumineux comme déconstruction, mais un tel projet se condamne à l'étiquette "religiosité" ou "spiritualité", cet autre nom pour désigner la "religion du privé", bien confortable ; une sorte de friandise esthético-mystique. Hadjadj a conscience de cet échec :

 

« Si mon interlocuteur ne croit pas plus ou moins à la béatitude, mes sermons les plus persuasifs ne l'atteindront pas, ou mal, mes propos paraîtront tissus de dogmes fantaisistes et de normes arbitraires, il croira que je cherche à l'embrigader, alors que je ne veux que préserver le mystère de son visage. J'aurais beau l'inviter dans l'arche, il s'imaginera que je cherche à le mettre en prison. »

 

Devant le constat amer, que propose-t-il à part être un clown ?

 

« Voilà pourquoi plus que jamais, alors qu'au point de vue temporel, la quête du bonheur semble révolue, il faut prêcher l'espérance avant de faire de la morale, annoncer le salut avant de dénoncer le salaud. » (p. 196)

 

... voilà les conséquences d'une philosophie "littéraire". « Prêcher l'espérance », oui, mais il faut répondre aux exigence de notre temps, ce qui serait aussi une marque d'amour (peser ce qui est voulu) : il faut mettre la main à la pâte (à la glaise, écrirait-il) et il préfère le balbutiement des mots. 


Ses pages respirent d'un amour vivant, mais tant qu'il ne sortira pas de sa grille de lecture post-idéaliste, il est condamné à faire du touche-logos avec Onfray. Si l'Eglise, au XVIe siècle, parlait métaphysique par le biais de l'art comme il l’écrit avec brio dans ses autres essais, c'était parce que l'époque le demandait encore. Aujourd'hui, on peut s'en désoler mais c'est ainsi : le monde réclame du sens avec les outils du méta-, sans doute, mais surtout de la physique. Il est donc un devoir d'y répondre et sur ce point, Hadjadj botte en touche.

 

Il faut ajouter à cette reddition silencieuse du philosophe une vraie reconnaissance d’échec du chrétien ; en cela, l’essai est émouvant. Tresmontant pourrait répondre qu’un essai de philosophie ne se réduit pas à un constat d'échec, surtout devant un problème aussi urgent ; répondre aux exigences de notre temps à la manière de Tresmontant, avec la plus « sainte des simplicités » se révèle une parole que l’on écrit partout mais que l’on ne vit nulle part : un amour en acte, un amour vivifiant.

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commentaires

M
Pour répondre à votre postulat qui est, me semble-t-il de continuer à « casser » la physique d ela philosophie voici ce qu'en pense un physicien bien connu :<br /> <br /> Beaucoup d’entre vous se disent préoccupés par la « désaffection » (mais s’agit-il vraiment<br /> d’une affaire d’affect ?) des jeunes pour la physique. Il y a aussi, paraît-il, une désaffection<br /> des jeunes pour les études de philosophie. L’idée de parler de « Physique et philosophie »<br /> est donc une idée sinon suicidaire, du moins saugrenue, à moins que par un phénomène<br /> d’anti-interférence, du désamour ajouté à du désamour puisse produire de la passion<br /> amoureuse.<br /> « Physique et philosophie », voilà en tout cas un titre qui peut paraître ambitieux. Vous<br /> trouverez toutefois des gens pour vous expliquer que le domaine d’intersection entre la<br /> physique et la philosophie est l’ensemble vide, que la physique s’est définitivement<br /> émancipée de la philosophie, et que c’est d’ailleurs cette émancipation qui signe l’acte de<br /> naissance de la physique moderne. Selon eux, il se serait en somme passé avec la physique<br /> et la philosophie le même mouvement de libération que celui qui s’est produit chez les<br /> Grecs entre le Logos, le discours rationnel, et le mythos, le mythe, libération qui avait signé<br /> l’acte de naissance de la philosophie : on essayait pour la première fois de répondre aux<br /> questions qu’on se posait non en répétant les réponses fournies par les mythes, mais en<br /> essayant de raisonner sur les réponses possibles.<br /> Mais vous trouverez aussi des gens, dont je fais partie, qui voudront vous expliquer que ce<br /> sujet est réalité un grand sujet, impossible à traiter en une heure, car la philosophie ne<br /> cesse pas de rôder autour de la physique, et même dans la physique, et qu’elle n’est jamais<br /> aussi présente au cœur même de la physique que lorsque celle-ci fait mine de s’en être<br /> débarrassé. Étienne Klein..<br /> <br /> <br /> <br /> Grand paradoxe depuis la révolution industrielle, l'humanité Occidentale s'est lancée dans une gigantesque entreprise de transformation du monde, grâce aux moyens d'intervention croissant des techniques modernes. Ses fins étant toujours les mêmes; subjuguer la nature pour la rendre toujours plus adaptée aux êtres humains. Mais, soudainement, ce « moindre » qui devait en principe être au service de la personnes humaine ne l'est plus. C'est elle qui doit dorénavant « courir » après les transformations du monde pour avoir encore une chance d'y trouver sa place..Un excellent exemple, voici que de plus en plus de chômeurs se retrouvent 'exclus' de ce qui représentait le centre de leurs préoccupations. La raison, un monde 'trop' accueillant, ou trop de sable dans l'engrenage ? De plus en plus de MAUX sont venus l'accabler et beaucoup moins anodins qu'ils eussent apparus de prime abord, ou plutôt, qu'au sein de leur diversité ils avaient un dénominateur commun parmi les plus grands maux qui pèsent sur la période historique qui est la nôtre, dont la plupart tiennent à des dépassements d'échelle. Il faut parler pour comprendre le problème et la séparation entre la philosophie et la science. De l'ABÎME qui s'est creusé depuis l'avènement de la modernité au 19e siècle, des deux disciplines aux conséquences ayant été désastreuses. La pensée philosophique qui jusque là s'accordait (en symbiose) aux mathématiques, leur a fait perdre la compréhension en regard aux interrogations sur les fondements des mathématiques et de leur usage. Au moment où le « nombre » ne cessait de gagner en importance dans la conduite des affaires humaines, les questions de 'taille', d'échelle sont devenues une tâche aveugle de la « réflexion philosophique moderne », contemporaine. Et cette ignorance fut profondément délétère. Une idée des erreurs que nous sommes exposés à commettre lorsqu'on ignore l'importance des échelles de grandeurs est de nous conduire à commettre les plus grandes erreurs de jugement..
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J
<br /> Je n'irai pas jusqu'à présenter Fabrice Hadjadj comme un maître, bien que je reconnaisse au moins deux grandes oeuvres philosophiques que sont "mystique de la chair" et "Le paradis à la porte :<br /> essai sur une joie qui dérange", dans la mesure où elles permettent de reconsidérer ce que Tresmontant avait vu dès son premier essai sur "la pensée hébraïque" à savoir un idéalisme charnel.<br /> <br /> <br /> Tresmontant est plus qu'un maître, c'est un passeur : il transmet une information, en s'efforçant de rester fidèle à la pensée de l'Eglise qu'il retrouve dans le réel. Ce n'est pas du concordisme<br /> mais une convergence des faits par le biais des sciences naturelles.<br /> <br /> <br /> Au sujet de Hadjadj, je le présente comme un honnête homme, aimant et vraiment chrétien. Quelque chose me dit qu'il serait plus décisif encore au théâtre. Cette tradition de l'esthétisme charnel<br /> qui nous vient de l'Eglise, ne l'oublions pas - que l'on pense au Bernin - offre des outils indispensables aux artistes frottés à la théologie et à la mystique. En matière de théologie, Hadjadj a<br /> l'humilité de reconnaître qu'il n'est pas un théologien de formation, bien que, pour ses essais, il ait tendance à utiliser la méthode de la théologie négative qui abuse des soustractions pour<br /> sonder le réel, afin d'aboutir, pour l'athée ou l'agnostique, à une impasse ontologique. <br /> <br /> <br /> C'est la tradition que j'appelle post-idéaliste et qui, je le dis posément, a des résurgences gnostiques, même si nous savons qu'au cours de l'histoire, l'Eglise a pu bénéficier du secours de<br /> certains grands docteurs qui usaient de cette méthode ; il n'en demeure pas moins que Hans Jonas, dans son monumental ouvrage "La religion gnostique" a écrit à ce sujet des lignes fortes<br /> : "La connaissance même qu'on a de lui (Dieu) est connaissance de son inconnaissabilité ;<br /> quand on le prêche, lui connu de la sorte, c'est par des négations : voici naître la "via negationis", la théologie négative, dont la mélodie, qui a déjà résonné pour attester ce qui ne saurait<br /> être décrit, n'a cessé de s'enfler, jusqu'à former un choeur puissant au sein de la piété ocidentale." (p.376, la religion gnostique)<br />
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P
<br /> Bonsoir, le plaisir est partagé. Si sa théologie (que j'ignore) est suspecte, n'est-il pas imprudent de se fier à sa philosophie ? Est-il pour vous un maître au sens fort (à savoir celui auquel<br /> on emprunte principes et méthodes) ou seulement un interlocuteur privilégié ?<br /> <br /> <br /> Cordialement,<br /> <br /> <br /> P. Jacob<br />
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J
<br /> Cher Pascal,<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Merci pour votre mot, je suis heureux de vous retrouver ici (nous avions eu des problèmes de livraison pour Blondel, souvenez-vous). Vous avez raison : votre formulation est plus exacte ; je<br /> n'employais qu'un terme générique. J'en profite pour rectifier certaines choses : loin de moi l'idée d'opérer un dualisme en séparant le méta- du -phusis : avec Tresmontant, je veux les unir.<br /> Mais cette union, je le reconnais, ne pourra se faire qu'en "mettant la main à la pâte" : toutes les sciences de la vie sont ici réclamées.<br /> <br /> <br /> Bien cordialement,<br /> <br /> <br /> Jérémy Marie.<br />
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P
<br /> Votre article est intéressant, je me permets une question : vous parlez de rapport à la "physique" : de quoi voulez vous parler au juste, autrement dit pourquoi simplement à la physique et pas à<br /> toutes les sciences de la nature ?<br /> <br /> <br /> Cordialement,<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Pascal Jacob<br />
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