Retour sur l'intense disputatio avec Loïc, en commentaire de l'article "Ceux qui disent que le problème ne se pose pas". Compte tenu de la richesse de cet échange, et parce qu'il nous permet d'entrer dans le fond de la pensée de Claude Tresmontant, nous le reproduisons ici en une série d'articles qui nous permettra d'isoler les thématiques et de les approfondir au besoin.
Commentaire n°5 (2e partie) :
"5. [...] Nous avons donc bien été tirés du néant (ex-nihilo), mais pas PAR le néant (per-nihilo) : par quelqu'un de bien réel, un Être existant, à qui nous devons la vie. [...]"
>> Sauf que nous n’avons aucune preuve de ce "quelqu’un de bien réel", autre que votre intime conviction et que rien, dans la science positive, ne suggère son existence. Au contraire, à chaque fois que la science progresse, Dieu recule, au point que les croyants tentent soit de déformer les découvertes scientifiques pour y plaquer leurs préjugés théologiques, soit d’exploiter les apories scientifiques (derniers bastions de notre temps : l’origine de l’univers et la conscience humaine) pour les combler avec Dieu – n’expliquant rien et inexpliqué lui-même.
"6. [...] Le lien entre ces deux temps sera établi lorsque l'on se sera assuré de l'authenticité de la Révélation divine faite à Israël et accomplie dans le Christ - ce qui relève encore, en droit, de la raison. La démonstration philosophique de l'authenticité de la Révélation a été admirablement apportée par Claude Tresmontant dans son maître-ouvrage que je vous ai recommandé : "Le problème de la Révélation".
>> Vous voyez, mon problème, c’est ça : Tresmontant vous a convaincu, vous, mais il n’a pas convaincu d’autres chrétiens, sans parler des musulmans, des juifs, des bouddhistes, etc., qui ont tous la même certitude que vous à propos de leurs religions respectives, qui disposent eux aussi de leurs auteurs de référence… La différence avec la science apparaît ici flagrante : que vous soyez chrétien, musulman, juif, bouddhiste, etc., l’eau bout toujours à 100°C (dans des conditions de pression habituelles) et chacun peut le vérifier expérimentalement.
"7. [...] On ne peut donc réduire le message de ce livre en disant : "Tresmontant prouve l'authenticité de la Révélation divine par le Christ"!
>> Ce n’est pas ce que j’ai dit. J’ai simplement dit que dans cet ouvrage, Tresmontant faisait du Christ une preuve "objective" de l’authenticité de la révélation biblique, ce qui me paraît rigoureusement exact. Maintenant, oui Tresmontant traite d’Israël et du prophétisme, en tentant maladroitement d’asseoir la réalité de l’inspiration divine dans la contradiction entre l’esprit prophétique et les circonstances de son temps : je le répète, pas convaincant pour un sou. A ce compte-là, j’en connais un paquet, d’inspirés par Dieu !
"8. [...] Il me semble qu'il y a entre les deux propositions un fossé que franchit allègrement Hawking, pour qui rien ne semble exister en dehors de la science - ce qui est un présupposé... métaphysique.
>> Ne déformez pas les propos de Hawking : il ne dit pas que l’univers n’a pas de cause, mais que la théorie d’un univers sans cause est scientifiquement pensable. Par ailleurs, le fossé que vous percevez n’existe pas, sauf à considérer que les énoncés métaphysiques peuvent non seulement contredire mais qui plus est surpasser, en termes de vérité, les énoncés scientifiques. Or c’est un non-sens, parce qu’il s’agit de deux registres différents. Enfin, je ne crois pas, pour avoir lu plusieurs de ses ouvrages, que Hawking pense que rien n’existe en dehors de la science, en revanche, il est clair qu’il tient la science pour la seule méthode capable de répondre aux questions d’ordre empirique de manière convaincante. La question de l’origine de l’univers étant une de ces questions, aussi épineuse soit-elle.
"9. Pourquoi le Dieu chrétien et pas celui des musulmans ou des gnostiques? Réponse : http://www.totus-tuus.fr/article-17769467.html.
>> Et les gnostiques ?! Je vous charrie, mais la force de mon objection repose sur le constat de la diversité des religions et leur caractère local (dans le temps et l’espace). Après tout, le christianisme n’a que 2000 ans et concerne aujourd'hui 2 milliards d'individus, tandis que l’humanité a plus de 100 000 ans et compte aujourd'hui plus de 7 milliards d'individus…
Réponse :
"Sauf que nous n'avons aucune preuve de ce "quelqu'un de bien réel", autre que votre intime conviction et que rien, dans la science positive, ne suggère son existence." Rien non plus dans l'histoire de la peinture ne suggère l'existence de Mozart. Pour voir Dieu, il faut mettre les bonnes lunettes!
"Au contraire, à chaque fois que la science progresse, Dieu recule." C'est ce qu'on entendait au 19e siècle à l'époque du scientisme triomphant. Mais l'histoire a montré le contraire.
"Tresmontant vous a convaincu, vous, mais il n'a pas convaincu d'autres chrétiens, sans parler des musulmans, des juifs, des bouddhistes, etc." Quand Claude Tresmontant établit l'authenticité de la Révélation à Israël, il convainc les chrétiens, les musulmans et les juifs - puisque chrétiens, musulmans et juifs croient ensemble que l'unique vrai Dieu s'est manifesté à Israël. Il reste donc dans votre liste les "bouddhistes" et les "etc." Mais parmi ces derniers, qui connaît vraiment la pensée de Claude Tresmontant? (et parmi ceux qui la connaissent, qui l'a réfuté avec succès?) Le grand problème que nous rencontrons depuis des siècles est celui de la méconnaissance de la pensée chrétienne orthodoxe - et de ses grands auteurs. Méconnaissance que l'auteur de ce blog voudrait bien contribuer à faire reculer, avec les humbles moyens qui sont les siens.
"La différence avec la science apparaît ici flagrante : que vous soyez chrétien, musulman, juif, bouddhiste, etc... l'eau bout toujours à 100°C (...) et chacun peut le vérifier expérimentalement." Cela ne prouve pas qu'il n'est de connaissance certaine que scientifique (comment ferez-vous la différence au microscope entre les larmes d'une veuve et celles d'une ménagère en train de peler ses oignons?). Ni que les vérités métaphysiques ou religieuses ne soient pas vérifiables expérimentalement - de cette expérience commune que tout un chacun peut faire dans sa vie personnelle et objectiver dans sa rencontre avec les autres.
"Tresmontant traite d'Israël et du prophétisme, en tentant maladroitement d'asseoir la réalité de l'inspiration divine dans la contradiction entre l'esprit prophétique et les circonstances de son temps : je le répète, pas convaincant pour un sou. A ce compte-là, j'en connaîs un paquet, d'inspirés par Dieu!" Si c'est tout ce que vous retenez du livre "Le problème de la Révélation", cela en dit long sur votre esprit scientifique...
"le fossé que vous percevez n'existe pas, sauf à considérer que les énoncés métaphysiques peuvent non seulement contredire mais qui plus est surpasser, en termes de vérité, les énoncés scientifiques. Or, c'est un non-sens, parce qu'il s'agit de deux registres différents." Registres différents oui, mais nullement séparés par une cloison étanche! Les énoncés d'une saine métaphysique ne peuvent certes pas CONTREDIRE les vérités scientifiques - nous sommes bien d'accord sur ce point ; mais qu'ils les SURPASSENT "en termes de vérité", voilà qui tient précisément à leur nature méta-physique (littéralement : qui surpasse la physique). La science elle-même repose tout entière sur des prémisses métaphysiques qui en fondent la valeur, jugent la vérité, fixent les limites, éclairent la nature et définissent les méthodes (lire Meyerson à ce sujet). Les vérités métaphysiques sont donc PLUS FONDAMENTALES que les vérités scientifiques - elles sont premières, puisqu'elles fondent et justifient les secondes - et leur certitude est supérieure. Il est illusoire dès lors de vouloir opposer la science et la métaphysique. Car aucune vérité scientifique ne pourra jamais contredire aucune vérité métaphysique - ni l'inverse. En revanche, la raison humaine devra s'efforcer d'accorder les vérités scientifiques et les vérités métaphysiques dans l'unité d'une synthèse - car la vérité ne peut être CONTRADICTOIRE.
"Hawking (...) tient la science pour la seule méthode capable de répondre aux questions d'ordre empirique de manière convaincante. La question de l'origine de l'univers étant l'une de ces questions, aussi épineuse soit-elle." Oui, mais elle est aussi et PLUS FONDAMENTALEMENT une question ontologique. Tresmontant tient la métaphysique pour la seule méthode capable de répondre aux questions d'ordre ontologique de manière convaincante. La question de l'univers étant l'une de ces questions, aussi épineuse soit-elle.
"La force de mon objection repose sur le constat de la diversité des religions et leur caractère local (dans le temps et l'espace)."
> sur la diversité des religions : en fait, elle n'est pas si grande que cela. Ainsi que Tresmontant l'a entrepris pour les métaphysiques, on pourrait regrouper les religions en quelques grands types seulement. On pourrait considérer : les religions qui voient Dieu incréé comme distinct de l'Univers créé ; celles qui identifient l'Univers avec le Divin incréé ; et puis peut-être une rubrique "divers" pour classer toutes les religions exotiques qui concernent très peu de monde ou qui ont disparu. Il me semble que le chercheur de vérité, en solide rationaliste, pourra écarter aisément cette 3e catégorie en raison de son caractère fantaisiste. Ne resterait alors que les deux premières : celle qui voit Dieu comme une être personnel - et dont la "trame" est de nature historique ; et celle qui voit Dieu comme une "énergie impersonnelle" de laquelle émaneraient tous les êtres de notre expérience - et dont la "trame" est de nature mythique. Cette seconde catégorie de religions me paraît également facile à écarter, car les mythes ne satisfont pas la raison et conduisent à une vision du monde INCOMPATIBLE avec celle que nous dévoilent les sciences et la métaphysique la plus universelle (par ex. le mythe de l'éternel retour, la théogonie...). Or, nous avons vu que la vérité ne peut être contradictoire. Ne reste donc que la première catégorie, qui résiste à toute critique et qui s'harmonise remarquablement avec toutes les découvertes scientifiques (spécialement de ces dernières années) : celle qui engobe les religions issues du monothéisme hébreu, à savoir : le judaïsme, le christianisme et l'islam.
> Sur le caractère local des religions :
>> dans le temps : les religions existent depuis que l'homme existe. Elle est donc un phénomène typiquement humain, qui correspond à un certain degré de l'évolution. Pour qu'un être croit, il faut qu'il possède la faculté de connaissance intellectuelle. Cette faculté apparaît avec l'homme.
>> dans l'espace : cette limite n'atteint pas le christianisme, présent sous toutes les latitudes. Il n'est pas de religion plus universelle que le christianisme. Or, si Vérité il y a, il y a de grandes chances qu'elle soit universelle (et non pas réservée à quelques initiés dans quelque secte réunie en Congrès dans quelque cabine téléphonique) - car elle est la même pour tous les hommes. Elle doit donc s'adapter facilement à toutes les cultures particulières.
"Après tout, le christianisme n'a que 2000 ans et concerne aujourd'hui 2 milliards d'individus, tandis que l'humanité a plus de 100.000 ans et compte aujourd'hui plus de 7 milliards d'individus".
> Le Big Bang, lui, a moins d'un siècle. Et après? Qu'est-ce que cela prouve? Que ce n'est pas vrai? La vérité est un chemin qui se découvre en marchant.
> Ma voisine de pallier ignore l'existence du Boson de Higgs. Et après? Qu'est-ce que cela prouve? Qu'il n'existe pas? Ce n'est pas parce qu'une vérité est méconnue qu'elle n'est pas vérité.