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14 octobre 2012 7 14 /10 /octobre /2012 19:18

Les idées maîtresses de la métaphysique chrétienneAchevé en octobre 1961, cet essai de 147 pages reste fidèle à l’esprit de synthèse et de simplicité qu’aimait déployer le professeur, loin de la pose mondaine. Dans La formation de la pensée juridique moderne, Michel Villey reconnaissait combien « on aime accoler aux doctrines des noms d’inventeurs ; les philosophies sont signées comme les créations artistiques. » (p. 155) Tresmontant est l’ennemi de tout système auto-suffisant destiné à un cercle d’initiés ou à un jury de concours. Non pas « ma philosophie » mais « Notre philosophie » (p. 14), conforme aux Pères de l’Eglise qui ne « cherchent pas à inventer un système original. Bien au contraire, ils y répugnent. Ils cherchent à penser avec la tradition. » (p. 15)

 

Sa pensée se veut organique (« La pensée d'un Corps »), ce qui manifeste chez lui un accueil de la corporalité, laquelle « n'est pas un accident ni une catastrophe. Elle est dans le plan créateur de Dieu. La matière n'est pas un lieu de chute, ni une souillure, ni un lieu d'exil. Elle est créature excellente en son ordre, materia matrix, dira le P. Teilhard de Chardin. » (p. 64)

 

Le désir et la sexualité ne sont aucunement responsables de l'ensomatose, cette chute des âmes dans le corps qu’explique la tradition théosophique et métaphysique de l'Inde, l'orphisme, Platon et Plotin, les gnostiques, les manichéens. (p. 65) « Il est fort probable que toute la doctrine de la matière et de la corporalité, dans ces divers systèmes, procède, psychologiquement, de cette répulsion originelle à l'égard de la sexualité. » (p. 65)

 

La pensée chrétienne, dans les premiers siècles, et jusqu'aujourd'hui, n’est pas exempte de tout soupçon en ce domaine. Il faut admettre qu’elle « a été tentée par cette attitude affective négative concernant la sexualité, et partant, la corporalité. Nous l'avons vu pour Origène, pour Grégoire de Nysse. Mais chez saint Basile aussi, chez saint Jérôme, chez saint Augustin, on décèle sans peine un conflit insurmonté à l'égard de la sexualité. » (p. 65)

 

L’avis des grands docteurs est une chose, celui de l’Eglise en est une autre. Par exemple, nous savons que l’Eglise n’a pas retenu la conception négative de la sexualité augustinienne. Augustin réduisait le péché originel, son concept, à la concupiscence ce qui permet à Hans Blumenberg (La légitimité des temps modernes) de conclure qu’Augustin n’a pas dépassé la gnose, mais l’a seulement transposée en langage chrétien.

 

Le réflexe gnostique a tendance à réduire la pensée de l’Eglise à un de ses docteurs ; cela a été le cas par exemple du jansénisme dont l’erreur a été de « s'appuyer d'une manière unilatérale sur certains textes de saint Augustin, alors que la pensée de l'Eglise est une pensée COLLECTIVE, une convergence entre tous ses Docteurs. » (p. 67)

 

Le péché originel

 

Tresmontant savait très bien que la théorie du péché originel est au cœur de la rupture entre la Réforme (qui a accentué la théorie augustinienne du péché originel) et le catholicisme, lequel a corrigé la théorie augustinienne du péché originel par le biais du thomisme.

 

« Le « péché originel » selon la théologique catholique, n'a pas altéré la nature humaine dans sa substance (ou dans son essence) : celle-ci reste après le péché ce qu'elle était au sortir des mains de Dieu. Elle reste belle et excellente. Quoique blessée et attendant une guérison. L'humanité est malade, physiquement, psychologiquement, spirituellement. Ce qui est altéré, ce n'est pas la nature humaine elle-même, mais les relations entre Dieu et l'homme, relations proprement surnaturelles. » (p. 74)

 

Intégriste ?

 

En admettant qu’il « existe une philosophie chrétienne à partir du moment où la pensée chrétienne réfléchit techniquement et rationnellement à ces conditions métaphysiques de son propre contenu, reçu de l'Ecriture. Nous avons parfois entendu des voix amicales prononcer, à propos de ce genre de recherche, le mot : intégrisme. […] Nous menacerions une liberté philosophique. Nous répondons que notre propos, jusqu'à présent, a été simplement descriptif […] On ne reproche pas, au biologiste qui décrit cette structure anatomique et les lois d'existence physiologique, de limiter notre liberté. Il importe donc, nous semble-t-il, d'examiner en premier lieu une question de fait. »(p. 20)

 

Il est vrai que la modernité confond la licence (l’absence de contraintes) avec son exact contraire, la liberté (l'accomplissement de l'être dans et avec tout ce qui le constitue) ; en ce cas de figure, « La liberté ne consiste pas à pouvoir choisir entre plusieurs positions, dont les unes sont fausses et l'autre vraie – mais à trouver la vérité. »

 

Toutefois, Tresmontant prend soin de mettre en évidence le « risque d'intégrisme. L'intégrisme consiste essentiellement à durcir et à choséifier ce qui est in via, en développement, en genèse. L'intégrisme est une fixation à la lettre. L'orthodoxie est esprit. Mais l'esprit n'est pas sans structure. » (p. 21)

 

Il s’inscrit ainsi dans la tradition de Maurice Blondel qui se présentait en « intégraliste », exigence intellectuelle qui se soumet à l’analyse de l’inachèvement. Mais cet inachèvement est lui-même une vérité qu’il faut démontrer.

 

Contrairement au dualisme gnostique qui stipule la négation du principe anthropique, le temps chrétien est VECTORIEL et mesure une création irréversiblement orientée vers un terme unique et définitif. Il mesure une maturationqui trouvera un achèvement éternel. (p. 49)

 

Le réflexe gnostique a tendance à faire de la raison un vase clos ; elle serait auto-suffisante, ce qui revient à en faire un absolu. Or, Tresmontant prend soin de constater, comme il l’avait très bien analysé dans Essai sur la connaissance de Dieu, que la raison n'est pas le critère absolu et la norme de l'être. La norme suprême, le critère absolu, auquel la raison doit être soumise, c'est la Vérité incréée. (p. 99)

 

Par le biais des études minutieuses de Blondel, il conclut que « L'être, le penser et l'agir sont travaillés par une loi immanente et créatrice, un dessein qui les informe, et dont il est possible de discerner le sens, l'intuition. » (p. 123)

 

Métaphysique marxiste

 

A première vue, il peut sembler pour le moins farfelu d’approcher la « métaphysique » marxiste, surtout quand on sait combien Marx et Engels se réclamaient du positivisme, lequel, rappelons-le, évacue la philosophie première de son champ d’étude.

 

Dans son appendice, Tresmontant ne s’y méprend pas en vérifiant que Marx et son ami Engels font bel et bien de la métaphysique, un peu comme Monsieur Jourdain faisait de la prose. Cette métaphysique a un nom, une tradition : il s’agit de la métaphysique a priori.

 

« Marx a opté lui-même pour une certaine métaphysique, une certaine ontologie. On en parle peu aujourd'hui. Mais il existe, explicitement formulés, et à plusieurs reprises, par Marx et par Engels, des principes, des présupposés, des thèses métaphysiques qui sont à la base du marxisme. Ces thèses ne trouvent nulle part, dans l'oeuvre de Marx et de Engels, un commencement de démonstration. Ce sont des thèses qui leur semblent aller de soi. Ce sont des thèses proprement métaphysiques, ontologiques. » (p.128)

 

Aux yeux de Engels, la métaphysique est « Chosiste, mécaniste, statique. Elle ignore le devenir, l'interpénétration des choses et des êtres dans la nature, l'interconnexion, l'interaction de tout sur tout. C'est une pensée factice, irréelle, qui s'oppose à la pensée réelle de la nature, laquelle est la dialectique. » (p. 129)

 

Un tel geste métaphysique s’explique aisément en révélant les présupposés ontologiques et métaphysiques d’une telle croyance qui professe une suffisance ontologique de la nature et de l'homme : c’est l’aséité. Ils sont suffisants.

 

Marx confond création (= pas d'anthropomorphisme) et fabrication (p. 131)

 

« Il ne suffit pas d'affirmer. En métaphysique, comme en logique et comme en mathématique, il faut justifier. C'est ce que Marx et Engels ne font jamais, sur ce point. » (p. 137)

 

Engels n'admet pas l'éternel retour mais adopte la thèse de l'éternel recommencement, une palpitation cosmique sans fin de diastoles et de systoles. (p. 139)

 

« Engels se contentera d'affirmer, avec un lyrisme croissant, l'éternité des mondes qui se succèdent dans des cycles sans fin, l'évolution et la dégradation de la matière dans des cycles indéfiniment répétés, éternellement […] Cette assertion a une chaleur mystique. C'est une foi. "Nous avons la certitude", écrit-il. » (p. 143)

 

Cette étude de la métaphysique de Marx et d’Engels lui permet de comprendre davantage les prises de position philosophique encore à la mode, en particulier l’agnosticisme (= points d'interrogations partout où nous quittons le terrain des sciences positives) et l’athéisme.

 

Engels lui-même repère l’a priori métaphysique de l’agnosticisme : « Qu'est-ce que l'agnosticisme, sinon un matérialisme honteux ? » (Engels)

 

« Le marxisme n'est pas agnostique. Il est dogmatique. Il affirme, dans l'ordre de la métaphysique. » (p. 146) = panthéisme séculaire.

 

A la fin de son déblaiement, Tresmontant s’étonne des conséquences d’une métaphysique a priori qui fonctionne d’après une méthode déductive (avec des axiomes), à l’inverse de la métaphysique a posteriori dont la méthode inductive part de ce que nous observe le donné : « Comment peut-on faire passer pour scientifiques, des thèses qui sont d'ordre proprement métaphysique, et qui n'ont aucun fondement scientifique ? » (p. 145)

 

Ses conclusions l’amènent à constater que le « matérialisme » marxiste est un panthéisme « honteux ». C'est un panthéisme qui veut se faire passer pour scientifique, pour de la science. » (p. 146)

 

 

Table des matières :

 Introduction (p. 9)

 I/ La doctrine de l’Absolu (p. 25)

 II/ Les relations entre l’Absolu et le monde. La doctrine de la création (p. 31)

 III/ Le système du monde (p. 47)

 IV/ L’anthropologie (p. 51)

 V/ La nature humaine (p. 63)

 VI/ La destinée surnaturelle de l’homme (p. 81)

 VII/ La doctrine de la connaissance. Le christianisme et la raison (p. 91)

 Conclusion (p. 111)

 Appendice : Questions d’ontologie marxiste (p. 117)

 Index (p. 149) 

 

 

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