Retour sur l'intense disputatio avec Loïc, en commentaire de l'article "Ceux qui disent que le problème ne se pose pas". Compte tenu de la richesse de cet échange, et parce qu'il nous permet d'entrer dans le fond de la pensée de Claude Tresmontant, nous le reproduisons ici en une série d'articles qui nous permettra d'isoler les thématiques et de les approfondir au besoin.
Commentaire n°3 :
"Au fondement de l'être, il y a l'Être, non le néant."
>> J'entends bien la rationalité de l'argument, mais je vous ferais aimablement remarquer que cela vous reconduit à la question qui, ironiquement, vous y a amené, à savoir le pourquoi de cet Etre plutôt que rien. C'est-à-dire que Dieu, qui était supposé expliquer le mystère de l'Etre, n'explique en réalité rien du tout, puisque vous le posez comme Etre nécessaire. En clair, vous formulez avec Dieu un "parce que c'est comme ça" métaphysique qu'un esprit chagrin comme le mien pourrait se contenter d'appliquer à l'univers, dont nous ignorons encore tant de choses !
"Mais si l'on admet au terme d'une réflexion rationnelle que l'Être éternel et incréé nécessairement existant est l'Être transcendant, personnel, conscient et intelligent que le monothéisme appelle 'Dieu', on peut légitimement penser que Celui-ci soit en mesure de nous expliquer Lui-même ses motivations et de nous les révéler."
>> Hop hop hop, vous allez bien vite en besogne ! Tout tient dans votre "si" : mais pour ma part je n'admets rien qui ne soit démontré et comme beaucoup d'autres rationalistes je ne vois rien de démontré dans le plaquage du Dieu monothéiste sur cet Etre nécessaire que vous évoquez et que d'ailleurs vous distinguez de l'univers sans m'avoir convaincu. En outre, je le répète, je ne vois pas pourquoi un Etre éternel et incréé, c'est-à-dire parfait, créerait quoi que ce soit, ni ce qu'il pourrait bien créer puisque, vous ne cessez de le rappeler, on ne peut pas tirer quelque chose à partir du néant. Donc l'acte créateur de Dieu pose question : à partir de quoi créé-t-il ?
"Parce que Dieu est un Être personnel, vivant et agissant (dans le processus temporel de la Création qui continue encore), il devient un interlocuteur possible pour l'homme, quelqu'un que l'on peut interroger et qui peut répondre. Or, dans la révélation biblique, nous avons des réponses à cette question du Dessein créateur de Dieu."
>> Votre argument est circulaire. Vous me dites en subtstance : Dieu existe et a un dessein parce que c'est écrit dans la Bible et la Bible est vraie parce qu'elle est la révélation de son dessein aux hommes par Dieu.
"Maintenant : la révélation biblique vient-elle vraiment du Dieu que la raison humaine découvre au terme d'une réflexion rationnelle sur le réel? Cela encore est objet de démonstration métaphysique - ainsi que nous le montre Tresmontant dans son livre "Le problème de la Révélation"
>> Tresmontant ne m'a pas convaincu, dans cet ouvrage. Il explique, pour résumer, que Jésus de Nazareth est inspiré par Dieu parce qu'il rame à contre-courant du lieu et du temps où il se trouve. L'apologétique fait rarement bon ménage avec la raison.
"J'ai répondu à Hawking, aussitôt son ouvrage paru. Cf. L'univers a besoin d'un Créateur (une esquisse de réponse au conte mythologique de Stephen Hawking)"
>> Bon, j'ai fait mes devoirs et j'ai lu votre article. Vous ne traitez pas Hawking équitablement, de mon point de vue. Notre astrophysicien ne se pique justement pas de faire de la métaphysique, il explique bien plus simplement, à partir de son expérience scientifique, que l'univers peut très bien exister sans cause première autre que lui-même, en vertu des lois mêmes qui le constituent. Et je m'amuse de lire sous votre clavier votre perplexité face à l'existence de ces lois pour la voir aussitôt disparaître sitôt que vous avez tapé le mot "Dieu". Moi, voyez, c'est "Dieu" qui me laisse perplexe : pourquoi "Dieu" ? D'où vient-il ? S'il est éternel, pourquoi l'est-il ?
"Vous avez tort de ne voir dans l'univers que de l'usure, de la dégradation, du veillissement. Pour qu'un être vieillisse, il faut d'abord qu'il soit. Puis qu'il croisse et se développe. Ce n'est qu'ensuite, arrivé à un seuil critique de maturation qu'il se met à s'user irréversiblement jusqu'à sa disparition. Vous occultez complètement le phénomène de la naissance et de la croissance des êtres! Or, c'est de cela justement qu'il faut rendre compte."
>> Vous m'avez lu un peu vite, sans doute. J'ai pourtant parlé de néguentropie, dans laquelle je classe la vie. Mais cette néguentropie n'est que locale et se paie toujours d'un tribut d'entropie. Bref, le fait qu'il y ait naissance et croissance des êtres n'annule malheureusement pas la réalité de l'entropie universelle : pour qu'il y ait naissance et croissance, il faut que le système considéré soit "bousculé" (= apport extérieur d'énergie, c'est-à-dire prix à payer, c'est-à-dire augmentation générale du désordre malgré l'ordre particulier, eh oui, on n'en sort pas). Si vous laissez un bébé à lui-même, il meurt. Et si vous le nourrissez, cela vous coûte de l'énergie (temps, efforts).
"Vous niez qu'il y ait PLUS dans l'univers aujourd'hui qu'il y a 13 milliards d'année? A l'origine des temps, il n'y avait pas de planètes ni d'étoiles (celles-ci se sont formées progressivement), pas d'éléments chimiques lourds (que de l'hydrogène et de l'hélium). Il n'y avait pas la vie (elle est apparue dans un monde inerte avec la première bactérie). Il n'y avait pas la conscience ni l'intelligence. Il n'y avait pas d'esprit libre ni de pensée scientifique et métaphysique (qui ont surgi avec l'homme). Nier qu'il y ait PLUS dans l'univers aujourd'hui qu'à l'origine, c'est nier le processus de l'Evolution cosmique et biologique ; nier le chemin parcouru par cette évolution jusqu'à nous. C'est sous-entendre que tout ce qui compose l'univers aujourd'hui - la complexité chimique, la vie, la pensée - existait dès l'origine (ce qui est faux d'un point de vue scientifique)."
>> Vous affirmez beaucoup sans démontrer. Je ne vois pas en quoi le fait qu'il existe des structures complexes d'organisation issues d'une évolution temporelle implique que ces structures serait un "plus" par rapport à l'état de l'univers à l'origine. Ca c'est votre préjugé, rien de plus. Je rajouterais que je ne vois pas comment l'univers, qui est un système isolé (ce qui est un fait scientifique, à preuve du contraire), pourrait produire "plus" que lui-même. C'est comme si vous me disiez qu'en lâchant une balle, celle-ci allait rebondir de plus en plus au fur et à mesure du temps : c'est évidemment l'inverse qui se produit, son rebond diminue, jusqu'à immobilisation totale. A mon avis, vous avez une vision beaucoup trop locale de l'univers : vous voyez son histoire comme une lente montée vers la complexité, avec l'homme en apogée, ou quelque chose du genre. Mais l'univers est vaste et notre existence n'a d'autre origine que des circonstances favorables, temporaires et terriblement précaires : nous sommes à la merci de tellement de menaces (pandémie, météorite, sursaut gamma...) et notre existence est si récente qu'il apparaît bien téméraire d'en déduire quoi que ce soit à propos de l'univers.
Réponse :
"En clair, vous formulez avec Dieu un "parce que c'est comme ça" métaphysique qu'un esprit chagrin comme le mien pourrait se contenter d'appliquer à l'univers, dont nous ignorons encore tant de choses !"
Mais nous en connaissons beaucoup aussi, suffisamment pour dire : il ne peut pas être l'être éternel. Vous pouvez dire : "l'univers est éternel" si cela vous chante, mais cette affirmation ne correspond à rien en science positive - surtout depuis le siècle dernier où l'on a découvert que l'univers avait une histoire.
Pourtant l'Être éternel existe nécessairement, car autrement, cela reviendrait à affirmer la primauté du néant ("au commencement était le néant"...) et la génération spontanée de l'être - qui ne correspond à rien non plus sur le plan scientifique.
Donc, si l'on veut être rationnel (mais on peut décider de ne pas l'être...), il faut postuler l'existence nécessaire d'un Être éternel, lequel ne peut être l'univers. La conclusion vous déplaît, mais je n'y peux rien.
"je ne vois pas pourquoi un Etre éternel et incréé, c'est-à-dire parfait, créerait quoi que ce soit, ni ce qu'il pourrait bien créer puisque, vous ne cessez de le rappeler, on ne peut pas tirer quelque chose à partir du néant. Donc l'acte créateur de Dieu pose question : à partir de quoi créé-t-il ?"
Je n'ai jamais dit que : "on" ne peut pas tirer quelque chose à partir du néant. Si "on" existe, ce n'est déjà plus le néant. Ce que je dis, c'est que : rien ne peut naître du néant absolu (où "on" n'existe pas - ou rien n'existe du tout, même pas Dieu). Si néant absolu il y a (c'est-à-dire : négation de tout être), jamais il ne pourra y avoir quelque être - car l'être ne peut jaillir spontanément du néant ; seul l'être peut rendre compte de l'être. Si Dieu existe, l'être du monde devient possible - car au commencement, il n'y a pas le néant, il y a l'Être.
Dieu ne créé pas à partir de sa propre substance - car si nous avions la substance divine, nous serions éternels, l'univers serait éternel. Dieu créé à partir de rien. Nous ne pouvons certes pas le comprendre a priori, mais simplement le constater a posteriori, en observant que l'univers n'a rien de divin. Nous voyons bien que l'être créé n'a pas la nature d'un Être incréé (éternel, infini, stable, immuable, inusable - sans genèse ni corruption) ; nous voyons bien qu'il n'est pas de la même substance que celle d'un Être incréé. La substance de l'être créé n'est pas celle de l'Être divin éternel et infini, mais celle d'un être qui a commencé d'être, et qui n'existait donc pas avant d'être. Avant d'être, il n'était rien ; il vient donc de rien - du néant, il est tiré. Mais comprenez bien cher Loïc qu'être créé DE rien ne signifie pas être créé PAR rien. Car si nous avons été tirés du néant, vous et moi, nous ne sommes pas le fruit du néant, mais de l'amour (à tout le moins celui de nos parents qui nous ont conçu).
"Votre argument est circulaire. Vous me dites en substance : Dieu existe et a un dessein parce que c'est écrit dans la Bible et la Bible est vraie parce qu'elle est la révélation de son dessein aux hommes par Dieu."
Lol. Où avez-vous lu sous ma plume que "Dieu existe parce que c'est écrit dans la Bible"???
"Tresmontant ne m'a pas convaincu, dans cet ouvrage. Il explique, pour résumer, que Jésus de Nazareth est inspiré par Dieu parce qu'il rame à contre-courant du lieu et du temps où il se trouve. L'apologétique fait rarement bon ménage avec la raison."
M'est avis que vous avez très mal lu ce livre qui ne parle pas de Jésus de Nazareth!
"Notre astrophysicien ne se pique justement pas de faire de la métaphysique, il explique bien plus simplement, à partir de son expérience scientifique, que l'univers peut très bien exister sans cause première autre que lui-même, en vertu des lois mêmes qui le constituent."
Et ça, ce n'est pas faire de la métaphysique?
"Moi, voyez, c'est "Dieu" qui me laisse perplexe : pourquoi "Dieu" ? D'où vient-il ? S'il est éternel, pourquoi l'est-il ?"
Eh bien vous admettez que l'Être éternel existe nécessairement ; que l'être existant est nécessairement éternel. Cela ne vous pose aucune difficulté. La différence entre nous, c'est que vous considérez que cet être éternel est l'univers lui-même. Vous l'affirmez contre l'enseignement des sciences expérimentales. C'est votre droit. Vous avez le droit de croire en l'éternité de l'univers ; croire que demain, on découvrira l'éternité de l'univers. Mais c'est là un pur acte de foi - non le résultat d'un savoir scientifique. L'éternité de l'univers est une pure supposition qui ne repose sur rien de tangible en science positive. Rien de ce que nous savons aujourd'hui de l'univers n'accrédite la thèse de l'éternité - loin s'en faut. Les grandes découvertes du siècle passé nous éloignent même de plus en plus de l'hypothèse d'un univers éternel.
Pour autant, avons-nous dit, l'Être éternel existe nécessairement, car autrement, cela voudrait dire que l'être de l'univers a jailli spontanément du néant. Puisque l'être de l'univers n'est pas éternel et que l'Être éternel existe nécessairement, c'est donc que ce dernier est autre que l'univers. C'est cet être autre que l'univers qui existe nécessairement de toute éternité que nous nommons Dieu - mais si le mot vous gène, on peut en changer.
"je ne vois pas comment l'univers, qui est un système isolé (ce qui est un fait scientifique, à preuve du contraire), pourrait produire "plus" que lui-même. C'est comme si vous me disiez qu'en lâchant une balle, celle-ci allait rebondir de plus en plus au fur et à mesure du temps : c'est évidemment l'inverse qui se produit, son rebond diminue, jusqu'à immobilisation totale."
Non justement, et tout est là. Vous avez parfaitement raison de dire que l'univers ne peut produire "plus" que lui-même. C'est pourtant ce que nous observons. Quand le vivant par exemple apparaît, il n'existait pas auparavant. Il est apparu, on ne sait comment. Il est né... dans un monde de matière inerte. Mais comment donc la matière inerte a-t-elle pu faire jaillir de la matière vivante et pensante? C'est toute la question. OU BIEN c'est l'univers lui-même qui a créé les messages génétiques (qui sont des télégrammes géants contenant de l'information faisant sens et commandant à la construction des êtres vivants et pensants). Mais alors l'existence même du message fait problème. Comment la nature s'y prend elle pour écrire des messages? OU BIEN l'univers est le "support" où un message est écrit par une Pensée capable de le concevoir. J'ai la faiblesse de penser que c'est cette seconde option qui est la plus rationnelle - quoiqu'elle soit, j'en conviens, mystérieuse. Mais entre le mystère et l'absurde, je choisis pour ma part le mystère, car il est absurde que l'absurde soit.