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2 août 2011 2 02 /08 /août /2011 19:18

Il existe deux grandes manières de faire de la métaphysique : OU BIEN je pars du sujet connaissant - de moi-même, de ma pensée propre la plus intérieure - ; je raisonne et déduis de mon raisonnement un certain nombre de conséquences sur le plan philosophique - et même scientifique ; OU BIEN je pars de l'objet connu - de l'univers physique appréhendé par mes sens, et induis de mes découvertes un certain nombre d'implications philosophiques [1].

 

La différence fondamentale entre les deux méthodes tient à la source où je vais puiser mon savoir : mon intelligence "pure", OU BIEN la réalité sensible.

 

La première méthode de raisonnement (dite déductive, a priori - celle-là même qui est combattue par Claude Tresmontant) consiste à se déconnecter du monde et de la nature perçus par les sens, et à retrouver en soi l'acte de raisonnement dans sa pureté originelle.

 

Le corps est ici clairement considéré comme une entrave à l'exercice de la raison ; l'expérience sensible comme un obstacle au cheminement naturel de la pensée ; la perception du monde extérieur comme une illusion nous éloignant de la vraie, de la pure connaissance.

 

Tout le travail du philosophe consistera à s'isoler du monde extérieur, et à débarrasser son raisonnement de toute influence étrangère lui venant des sens, de manière à produire une pensée sans mélange, lui permettant d'atteindre à la connaissance de ce qui est.

 

Un texte célèbre de Platon [2], le Phédon, développe cette conception de la métaphysique :

 

"Et maintenant, pour ce qui est de posséder proprement l'intelligence, le corps, dis-moi, est-il, oui ou non, une entrave, si dans la recherche on lui demande son concours? Ma pensée revient, par exemple à ceci : est-ce que quelque vérité est fournie aux hommes par la vue aussi bien que l'ouïe?

 

Et le Socrate de Platon de répondre à la question qu'il a lui-même posée : "Quand donc l'âme atteint-elle la vérité? D'un côté en effet, lorsque c'est avec l'aide du corps qu'elle entreprend d'envisager quelque question, alors la chose est claire, il l'abuse radicalement... N'est-ce pas par conséquent dans l'acte de raisonner que l'âme, si jamais c'est le cas, voit à plein se manifester à elle la réalité d'un grand être?... Et sans doute raisonne-t-elle au mieux, précisément quand aucun trouble ne lui survient de nulle part, ni de l'ouïe, ni de la vue, ni d'une peine, ni non plus d'un plaisir, mais qu'au contraire elle s'est le plus possible isolée en elle-même, envoyant promener le corps, et quand, brisant autant qu'elle peut tout commerce, tout contact avec lui, elle aspire au réel...

 

"N'est-ce pas, en outre, dans cet état que l'âme du philosophe fait au plus haut point bon marché du corps et le fuit, tandis qu'elle cherche d'autre part à s'isoler en elle-même?... Et donc, ce résultat, qui le réaliserait dans sa plus grande pureté sinon celui qui, au moyen de la pensée en elle-même et par elle-même et sans mélange, se mettrait à la chasse des réalités, de chacune en elle-même aussi et par elle-même et sans mélange? et cela, après s'être le plus possible débarrassé de ses yeux, de ses oreilles, et, à bien parler, du corps tout entier, puisque c'est lui qui trouble l'âme et l'empêche d'acquérir vérité et pensée, toutes les fois qu'elle a commerce avec lui?" [3] 

 


[1] Cf. notre article du 30 juillet 2011, Méthode déductive vs méthode inductive. 

[2] Comme le rappelle Tresmontant dans une note de bas de page de son très beau livre, Comment se pose aujourd'hui le problème de l'existence de Dieu (Seuil 1966, p. 45) : "Le platonisme et le néoplatonisme professaient que le monde de la matière et des corps est en fait un monde irréel, une apparence ou une ombre. Il faut se détourner de cette image afin de se tourner vers le monde des Idées qui est hors de ce monde-ci, séparé, ailleurs" - mais accessible au philosophe par une pensée dégagée de toute influence du "monde de la matière et des corps" 

[3] Cité par Claude Tresmontant, in Sciences de l'univers et problèmes métaphysiques, Seuil 1976, p. 160-161.

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