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3 février 2013 7 03 /02 /février /2013 00:00

L'univers est pour nous un mystère. Notre propre existence est pour nous un mystère. Car de l'un ni de l'autre nous ne sommes responsables ; de l'un et de l'autre nous "héritons" - l'un et l'autre, nous les recevons comme un don [1].

 

Lorsqu'on observe le monde, rien de ce qui existe ne semble se suffire à soi-même - puisque tout naît, tout commence d'être. Il n'est aucune réalité dans l'univers observable qui n'ait eu un commencement d'être. Se pose donc à nous la question fondamentale de l'origine ultime de tout ce qui est. Qu'est-ce qui fait que l'univers existe? Qu'est-ce qui fait que nous existons?

 

Bien sûr, nous pouvons répondre à la question de l'existence de toute chose en invoquant des causes prochaines. Qu'est-ce qui m'a fait, moi? Mon père et ma mère. Qu'est-ce qui a fait la Terre? L'agglomération d'éléments lourds (fer, silicium, aluminum, nickel...) en provenance de débris d'étoiles. Qu'est-ce qui a fait notre galaxie? La condensation des nuages froids d'hydrogène et d'hélium sous l'effet de la gravitation. Qu'est-ce qui a fait l'univers? Le Big Bang (ou quelque autre évènement). Etc.

 

Mais lorsque nous avons donné à chaque phénomène sa cause directe - en remontant aussi loin que nous le pouvons -, notre esprit peut-il être pleinement rassasié? "Notre raison est-elle satisfaite quand elle a constaté l'existence de ce monde, quand elle a fait l'inventaire des lois qui régissent ce monde et son évolution? N'y a-t-il plus d'autre question?" [2]

 

Une fois que nous avons décrit les phénomènes et leur enchaînement chronologique, a-t-on tout dit et tout compris du monde et de l'univers? N'est-il pas une question supplémentaire, fondamentale, qui se pose à nous une fois le travail scientifique (d'observation des phénomènes, et d'explication des phénomènes par d'autres phénomènes) accomplit? Nous avons scruté l'univers, étudié sa structure, son mécanisme, son fonctionnement, constaté son développement historique... Mais il est une réalité sur laquelle nous n'avons pas (encore) réfléchi, qui est l'être même de cet univers que nous examinons. Nous avons travaillé sur un donné - nous l'avons exploré à fond. Mais ce donné lui-même, nous ne l'avons pas considéré, avec recul, en tant qu'il est ; nous ne nous sommes pas interrogés sur son existence [3]. Comment se fait-il que notre univers existe? D'où tire-t-il son être? De lui-même - de ses propres ressources (mais comment fait-il alors pour se donner progressivement ce qu'il n'a pas au départ)? Ou d'ailleurs? Bref : "N'y a-t-il que 'du monde', que 'de la nature' (...)? L'existence du monde seul est-elle pensable?" [4] Et si non : Dieu existe-t-il? [5]

 

Cette question de l'être de l'univers - et de l'existence de Dieu qui lui est subséquente - est la première de toutes les questions. Non pas forcément celle qui se pose en premier. Mais la plus fondamentale, celle qui est à la racine de toutes les autres - car l'activité scientifique présuppose l'existence de l'univers [6]. Le problème de l'existence de l'univers se trouve en amont de tous les autres problèmes - puisque tous les autres problèmes lui sont dérivés et en découlent.

1) Si l'univers n'existe pas, l'activité scientifique ne peut trouver à s'exercer - et les questions qu'elle soulève n'ont pas lieu d'être.

2) Or, l'univers existe - et les savants peuvent l'explorer à satiété.

3) Comment se fait-il qu'il existe - s'offrant ainsi généreusement à la contemplation et à l'étude du monde scientifique?

 

Certains affirment que cette question est absurde ; qu'elle ne se pose pas ; qu'il s'agit là d'un faux problème, d'une pseudo-question. "L'univers existe, un point c'est tout.  Il est, c'est ainsi - il n'y a pas lieu de s'en étonner. Il est impensable qu'il ne soit pas. Se demander pourquoi il existe, et pourquoi il existe sous cette forme là, n'a aucun sens. L'univers est ; son existence s'impose à nous. Nous devons l'accueillir tel qu'il est, le recevoir tel qu'il se donne à nous, sans nous poser de questions superflues. Ne perdons pas notre temps en discussions oiseuses à son égard - cherchons plutôt à mieux le connaître, lui."

 

Ceux-là considèrent l'existence de l'univers comme une évidence. Il est parce qu'il est, tout simplement : nous le voyons, nous le sentons, nous l'expérimentons. Son existence est ce qu'il y a de plus certain - elle ne fait pas problème. Elle ne fait problème, en vérité, qu'à une catégorie particulière d'individus : ceux qui entendent proclamer l'existence de Dieu. Mais ceux-ci ne raisonnent pas objectivement, ni rigoureusement. Ils sont mus par une arrière-pensée, un préjugé en faveur de l'existence de Dieu. Or, nous le savons : les préjugés altèrent notre perception du réel - et nous entraînent sur de fausses pistes. Il faut donc les chasser de notre esprit et nous en tenir à ce qui est absolument indiscutable, à savoir : que notre monde existe. L'existence existe - c'est un fait, une évidence première, incontestable, irréfutable. Il n'y a pas lieu de s'en émouvoir.

 

Rares, en vérité, sont ceux qui raisonnent ainsi - qui n'aperçoivent pas le problème, ne le voient pas. Le sens commun, lui, naturellement émerveillé par l'univers et son ordre admirable, pressent la difficulté. Il sent plus ou moins confusément que l'univers a besoin d'une explication ultime, fondamentale, première - que son existence ne va pas de soi ; qu'elle est d'autant plus inévidente que ce que nous savons aujourd'hui de l'univers nous le rend vraiment "bizarre" - selon l'expression de Georges Lemaître ; que le problème de son existence se pose et doit être posé.

 

"Notre raison, d'une manière invincible, se refuse à se tenir satisfaite de cette constatation du fait ; elle se pose la question du fondement de l'existence (...). En posant (...) la question de la source de mon existence (...), je pose une question essentielle à l'exercice de la raison humaine (...). Nous ne pensons pas que les questions fondamentales doivent être nécessairement éludées, comme inconvenantes. Nous pensons au contraire que chacun a le devoir de se les poser, que chacun a le devoir d'aider l'autre à se les mieux poser." [7]

 

Notre interlocuteur soupçonne le philosophe croyant de raisonner selon un préjugé ; et ce faisant, de mal poser le problème. Le problème étant mal posé, le traitement de la question ne peut être que biaisé et aboutir à des conclusions erronées.

 

Claude Tresmontant a parfaitement démontré qu'un raisonnement scientifique (de type inductif) appliqué au réel objectif et expurgé de tout préjugé conduit à la conclusion certaine de l'existence de Dieu. Mais... admettons un instant qu'un tel raisonnement aboutissant à une telle conclusion soit effectivement influencé par un préjugé favorable à l'existence de Dieu. Le compliment peut être aisément retourné. Car "personne n'aborde une question sans quelque préjugé, c'est-à-dire sans avoir quelque idée de ce qu'il veut prouver. L'homme est un animal social, l'éducation qu'il a reçue l'a marqué pour la vie, et son milieu, ses lectures l'influencent profondément. Vouloir purger son esprit de tout préjugé avant de commencer à philosopher, comme Descartes prétendait le faire par son doute méthodique, cela est tout à fait vain. Descartes n'y a pas réussi, ni personne après lui ; cela reviendrait à vivre et penser seul, ce qui est impossible. Et le pire des préjugés est de croire qu'on n'en a pas, car on en a toujours, et justement un préjugé n'est nocif pour la vie de l'esprit que s'il est inconscient et inavoué." [8]

 

Notre interlocuteur qui prétend que la question de l'existence de l'univers ne se pose pas se trouve donc dans une situation inconfortable - pour le moins. Car s'il reproche au philosophe croyant de raisonner selon des a priori posés au départ avant toute analyse, son affirmation elle-même repose sur un préjugé gouvernant sa pensée - d'autant plus pernicieux ici qu'il est totalement inconscient. Ce préjugé, quel est-il? Claude Tresmontant l'a très bien mis au jour, en montant que pour cet interlocuteur, "l'existence de l'univers ne fait pas problème, car cette existence est nécessaire. L'univers est, et il n'y a pas à nous en étonner, car il existe nécessairement. Il est l'Être lui-même. S'étonne-t-on de l'existence de l'Être? (...). Dire que l'existence de l'univers va de soi, et qu'il n'y a pas lieu de s'en étonner, c'est, au fond, penser que l'existence de l'univers est ontologiquement suffisante : l'univers existe par soi (...). Il est l'Être, sans restriction, sans précision, sans distinction. Il est l'Être, il est le seul Être, il existe nécessairement, puisque l'Être ne peut pas ne pas exister. Son existence ne fait pas question, elle ne pose aucun problème. Il n'y a pas lieu de nous étonner de l'être de l'univers, il n'y a pas lieu de nous demander pourquoi l'univers existe. Il est, et puisqu'il est l'Être qui ne dépend d'aucun autre, il faut le dire : il est l'Être absolu." [9]

 

L'assertion de notre interlocuteur s'avère donc le produit d'une thèse métaphysique subrepticement posée au départ - d'un préjugé selon lequel l'univers est le seul Être, à l'exclusion de tout autre. Ce qui est précisément en question. Refuser de soumettre à la critique ce postulat posé a priori, affirmer sans discussion que le débat n'a pas à être ouvert - parce qu'il est déjà clos -, c'est professer arbitrairement, péremptoirement, sans la moindre justification rationnelle, que l'Univers est le seul être, l'Être absolu ; c'est manifester une pensée dogmatique - celle-là même que l'on reproche au philosophe croyant.

 

Il est donc inexact de dire que la question ne se pose pas. Elle se pose, parce que celui qui affirme le contraire se l'est en réalité déjà posée et y a répondu à sa manière - même s'il n'en a pas conscience. Le problème est qu'il ne l'a pas traité de manière rationnelle, mais selon ses préférences cachées, ses options secrètes, ses orientations inavouées. Il nous faut donc regarder le problème en face, et examiner rationnellement la question de savoir si l'univers est le seul Être ou s'il ne l'est pas.

 


[1] Cf. nos articles des 16 septembre 2012, Nous sommes à nous-mêmes un mystère, 23 septembre 2012, Notre vie est un miracle, et 2 novembre 2012, L'univers n'est pas créateur de lui-même.

[2] Claude Tresmontant, in Essai sur la Connaissance de Dieu, Cerf 1959, p. 8.

[3] Cf. notre article du 2 décembre 2012, Toute existence pose question.

[4] Op. cit., p. 15

[5] J'entends 'Dieu' ici au sens le plus neutre du terme, à savoir : l'Absolu incréé qui se distingue de l'univers, et qui n'a besoin de rien ni de personne pour être ce qu'il est comme il est. Cf. notre article du 15 janvier 2013, La question de l'existence de Dieu.

[6] Cf. notre article du 23 décembre 2012, La question fondamentale - absolument première.

[7] Op. cit., pp. 15, 33, 8-9.

[8] Roger Verneaux, Introduction Générale et Logique, Beauchesne et ses Fils, 1964.

[9] Claude Tresmontant, in Comment se pose aujourd'hui le problème de l'existence de Dieu, Editions du Seuil 1966, pp. 54 et 55.

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27 janvier 2013 7 27 /01 /janvier /2013 12:14

Nous sommes le dernier jour d’octobre 1983, c’est la rentrée universitaire.


Tout le monde est excité. Nous avons hâte de revoir notre professeur bien-aimé.

 

Le sujet de sa conférence hebdomadaire de l’année est bien ambitieux : « Ontologie, Cosmologie et Anthropologie hébraïques ». Un excellent sujet ! Tout à fait tresmontanien !! 

 

14 h 55. Devant une porte de l’amphithéâtre, Monsieur Tresmontant est là, habillé d’un manteau bleu-marin très élégant, portant son gros sac en cuir de plombier, entouré de ses ‘fidèles’ qui le suivent depuis des années.  Très souriant, il répond gentiment aux questions d’un monsieur aux cheveux blancs. Les jeunes étudiants aussi sont là pour lui poser des questions. 

 

14 h 58. La salle se dégage. Nous prenons nos sièges habituels en suivant Monsieur Tresmontant de nos yeux. Il installe son gros sac sur le bureau, il sort quelques livres, puis s’assoie devant le micro et met sa montre sur le coin de son bureau. C’est l’heure. Il commence d’une voix douce. « Dans le Livre de la Genèse, trois documents sont rassemblés et réunis. Le premier document date du 6ème siècle avant notre ère, le deuxième document, 10ème  siècle avant notre ère, le troisième, 9ème siècle avant notre ère… » 


« L’originalité de la pensée hébraïque commence à se développer à partir du 19ème siècle avant notre ère. L’ontologie, la cosmologie et l’anthropologie hébraïques s’opposent aux textes anciens d’Egypte, de Babylone et de l’ancien Grec... Dans la pensée d’Egypte, il n’y a pas d’ontologie, mais seulement la cosmologie… Les thèmes communs des pensées archaïques sont des thèmes de la théogonie ou de la cosmogonie. Dans les documents humains les plus anciens de l’Egypte de 2600-2300 avant notre ère, nous trouvons le thème de la cosmogonie ou de la théogonie. Les théologiens hébreux connaissaient les traditions égyptiennes. Mais les connaissant, ils les ont rejetés, ils les ont éliminés… »

  

Monsieur Tresmontant résume les pensées égyptiennes pour nous montrer l’originalité de la tradition hébraïque. « Dans les pensées égyptiennes comme dans d’autres traditions humaines, nous trouvons toujours l’idée du chaos originel qui est la première matière, l’être premier, l’être absolu… L’idée de la genèse à partir du chaos se trouve partout sauf dans la tradition hébraïque... »


« Dans ces traditions, il n’y avait pas d’être personnel à l’origine, mais seulement le chaos, d’où sort la divinité qui prend ensuite conscience d’elle-même… C’est l’idée de la divinité en genèse, l’idée de l’existence du chaos antérieur à la genèse des dieux, l’idée de la genèse tragique des êtres issus des dieux massacrés… » 


« Le monothéisme hébreu s’oppose à la théogonie. Les théologiens hébreux ont rejeté les thèmes de théogonie. Il y a donc deux métaphysiques, les deux métaphysiques en conflit… La cosmogonie basée sur le chaos originel ne conçoit pas l’idée de commencement absolu. Chez les Hébreux, c’est la Création. La Création est le commencement sans aucun préalable… La pensée hébraïque est un mutant dans l’histoire de la pensée humaine… » 


« Les cosmogonies égyptiennes considère le chaos originel comme l’être absolu. De ce chaos se génèrent des êtres. Les dieux sont issus du chaos originel, nous sommes issus des dieux. Nous sommes la substance des dieux massacrés, nous sommes consubstantiels au divin. L’univers est conçu comme la totalité de l’être, il n’y a pas de créateur, distinct  de l’univers. L’apparition de la divinité n’est pas initiale à la création de l’univers… »


 Le lundi d'après était une introduction à la pensée iranienne : la métaphysique dualiste expliquant la naissance des êtres à partir de deux esprits, non à partir du chaos originel. Un principe éternel, incréé, bon, et l’autre, mauvais, méchant. Il nous parle aussi de la relation entre le platonisme et le dualisme d’Iran, ainsi que Mani, Cathare, avant de détailler la pensée grecque et le conflit avec la pensée hébraïque.


 Jusqu’à la première semaine de décembre, Monsieur Tresmontant continue d’exposer les pensées grecques : les thèmes pythagoriciens et orphiques de la descente de l’âme dans le corps, Xénophon, Héraclite d’Ephèse, Parménide, Empédocle, Anaxagore, Mélissos de Samos, les atomistes, la cosmologie d’Aristote et de Platon..., en s'arrêtant quelques moments sur Bergson et Jacques Maritain.


« Il y a trois grandes traditions. Pour Parménide ou pour la tradition matérialiste, il n’y a qu’une sorte d’être, et c’est l’univers physique. Cet être est l’être absolu, il n’a pas de commencement, ni d’évolution, ni d’usure, ni de mort… Pour une autre tradition qui est la tradition non-dualiste, de l’être, il n’y en a qu’un seul et c’est le Brahman, et l’univers n’est qu’une illusion, la genèse est illusoire, c’est une métaphysique acosmique… Pour ces deux traditions, l’être est univoque et cet être est absolu et divin ; dans cette vision, l’idée de création ne se prétend même pas… Enfin, il y a la tradition hébraïque qui admet deux sortes d'êtres distincts - l'Être incréé (Dieu), absolu et divin, et l'être créé (l'univers) qui n'est pas absolu ni divin. » 


« Parménide ignore la distinction entre l’être créé et l’être incréé, puisqu’il ignore l’idée de création… L’être absolu ne peut pas comporter le commencement. Si l’univers est absolu, il ne comporte pas de commencement. Personne ne peut penser que l’être commence à partir du néant. C’est de l’évidence première, c’est la première certitude humaine sur l’être.»


« En 1907, Bergson critique l’idée du néant absolu. Il conclut que le néant absolu est inintelligible, c’est une pseudo-idée, un faux problème… S’il est vrai que le néant absolu est impossible, il faut au moins un être, quelque être est nécessaire. Cet être nécessaire n’est pas la Nature, mais autre que la Nature… C’est dans l’Evolution Créatrice , et Jacques Maritain le reprend dans son Traité sur Bergson… Comment comprendre l’expression ex nihilo ? » 


« Avant la création, il y avait א ד נ י  ». Monsieur Tresmontant l’écrit en hébreu sur le tableau.


« Il n’y avait donc jamais le néant. Dans la pensée hébraïque non plus, il n’y avait pas de néant absolu. L’être de l’univers et l’être de Dieu ne sont pas du même genre d’être. L’univers a reçu l’être. L’être de Dieu n’est pas un être reçu. L’ontologie hébraïque a introduit la distinction de deux sortes d’être : l’être créé et l’être incréé… »

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25 janvier 2013 5 25 /01 /janvier /2013 00:00

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15 janvier 2013 2 15 /01 /janvier /2013 00:00

Dans une vidéo circulant sur Internet [1], un élève demande à son professeur : "Êtes-vous athée"? Le professeur marque un temps de réflexion, puis, feignant l'embarras, lui répond : "Il m'est bien difficile de répondre à ta question, car athée, cela veut dire 'sans Dieu'. Or je ne sais pas ce que c'est que Dieu. Ta question n'a donc pas plus de sens pour moi que celle que je te pose maintenant : 'Es-tu sans Karamatsouk?'" L'élève, mal à l'aise, bredouille : "C'est quoi un Karamatsouk?" "Ah, tu vois, c'est difficile de dire si on est sans quelque chose qu'on ne connaît pas. Un Karamatsouk, vois-tu, c'est un animal très bizarre que personne ne voit, qui a une tête de crayon et qui a la capacité de dessiner des cercles carrés. Si je te demande maintenant si tu crois dans le Karamatsouk, que vas-tu me répondre?" Le professeur n'attend pas la réponse de son élève rougissant, et tranche à sa place : "Eh bien tu vas me dire : 'vous dites n'importe quoi!' Et tu auras bien raison... Ainsi en est-il de la question de Dieu. Dieu? personne n'a jamais pu m'expliquer ce que cela pouvait bien vouloir dire. Le mot 'dieu' existe, oui - comme le mot 'Karamatsouk'. Quant à savoir s'il désigne quoique ce soit de réel..."

 

Cet échange pittoresque nous révèle que beaucoup aujourd'hui n'aperçoivent plus le problème de l'être posé par notre univers. Il s'agit pourtant de la question première, absolument fondamentale qui se pose naturellement à l'homme qui observe le réel et cherche à le comprendre avec sa raison [2].

 

Puisque rien dans l'univers n'existe par soi-même - rien n'est éternel, pas même les atomes comme on l'a longtemps cru - ; puisque TOUT naît, croît, s'use et meurt (y compris notre univers lui-même, semble-t-il) se pose la question du fondement même de l'être de notre univers [3]. D'où vient qu'il existe? Et d'où vient qu'il ait ces caractéristiques étonnantes que nous observons au microscope ou au téléscope? Est-il seul, nécessaire, incréé, sans aucun lien de dépendance ontologique avec une autre espèce d'être que lui (ce qui est la définition même de l'Absolu)? Ou bien est-il au contraire contingent, créé, radicalement dépendant d'un autre être que lui avec lequel il ne se confond pas - auquel il doit son existence et son essence.

 

Deux options possibles se présentent à nous, spontanément.

OU BIEN l'univers a sa raison d'être en lui-même : il ne dépend de rien ni de personne pour être ce qu'il est comme il est ; il est le seul être existant. Dans ce cas l'Absolu, c'est lui. Et Dieu est de trop.

OU BIEN l'univers n'a pas sa raison d'être en lui-même : il est incapable à lui seul de rendre compte de sa propre existence et de ses étonnantes caractéristiques ; il n'est pas l'Absolu.

Dans cette seconde hypothèse, deux sous-options se manifestent :

Ou bien l'univers n'est pas l'Absolu parce qu'il n'y a pas d'Absolu - il n'y a que du contingent.

Ou bien l'univers n'est pas l'Absolu parce que l'Absolu est autre que lui. L'Absolu existe, oui - mais ce n'est pas l'Univers. C'est un autre que l'Univers. Eh bien : c'est cet autre être absolu (qui ne dépend de rien ni de personne pour être ce qu'il est comme il est), qui n'est pas l'univers, que nous nommons 'Dieu'.

 

Voilà en quels termes se pose la question primordiale, fondamentale - la première de toutes les questions philosophiques : la question de l'être de l'univers - et la question de l'existence de Dieu qui en est le dérivé, qui lui est subséquente, attendu que 'Dieu' se présente comme l'une des deux options alternatives (il n'y en a pas 150) à la thèse de l'absoluité de l'univers.

 

Dieu n'est donc pas le Karamatsouk de notre professeur de lycée - à qui nous exprimons le regret que personne n'ait été capable de lui expliquer ce que le mot 'Dieu' pouvait bien signifier. Par 'Dieu', nous entendons l'Être absolu qui fonde l'existence de l'univers - et qui n'est pas l'univers -, selon l'une des deux branches de l'alternative qui se présente à nous dans l'hypothèse où l''univers n'aurait pas sa raison d'être en lui-même - ce qu'il faut examiner.

 

Si le mot 'Dieu' dérange (parce qu'il renvoie trop directement au Dieu des religions), on peut bien entendu en changer. Cela n'a aucune importance. A ce stade premier de notre réflexion, la question n'est pas de savoir QUI est Dieu - ni comment le nommer [4] ; la question est de savoir s'il existe, tout simplement - comme Absolu se situant en dehors du monde et posant le monde dans l'être.

 

Si la raison humaine nous conduit à penser, ainsi que nous allons le voir avec Claude Tresmontant :

 *que notre Univers n'est pas l'Absolu,

 * et que l'Absolu existe nécessairement

 - autrement dit : que "Dieu" existe -

alors se posera ensuite la question de son identité, et de savoir si celle-ci peut être discernée dans les différentes propositions du divin que l'on trouve dans les religions humaines depuis les origines. Mais cette question de l'identité de Dieu est (pour le philosophe) une question ultérieure. Avant de se demander qui est Dieu, il faut déjà résoudre la question de savoir s'il existe. Et pour s'interroger sur l'existence d'un être, il faut déjà en avoir quelque idée. L'idée de Dieu que nous posons au départ est celle qui est suggérée par notre propre raison à partir de l'observation de l'univers : l'idée d'un Absolu qui fonde le monde, qui n'est pas le monde, et sans qui le monde n'existerait pas - bien loin, on le voit, de celle de "l'animal très bizarre que personne ne voit, qui a une tête de crayon et qui a la capacité de dessiner des cercles carrés", qui est purement fantaisiste et imaginaire.

 

La question de l'existence de Dieu est une question qui se pose objectivement à tout homme s'interrogeant sur l'être de l'univers. Elle est incontournable, et doit être traitée rationnellement. Elle n'est pas d'abord une question religieuse - c'est une question philosophique. La première que l'homme se pose lorsqu'il s'interroge sur le monde - la première qu'il doit traiter.

 

Vouloir éluder la question de l'existence de Dieu, ce serait renoncer par avance à résoudre la question première, fondamentale, qui se pose à l'esprit humain. Ce serait renoncer à s'interroger sur l'Absolu, sur le monde ; renoncer à penser.

 

Exclure a priori la question de l'existence de Dieu, c'est poser le monde comme l'Absolu. C'est préjuger ce qui est précisément en question. 

 


[1] http://www.youtube.com/watch?v=aAwT6N0U75s

[2] Cf. notre article du 23 décembre 2012, La question fondamentale, absolument première.

[3] Cf. notre article du 2 novembre 2012, L'univers n'est pas créateur de lui-même.

[4] mais le nommer 'Dieu' est plus simple et plus commode.

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13 janvier 2013 7 13 /01 /janvier /2013 22:28

Claude Tresmontant a marqué son époque par l'abondance de sa production littéraire et par l'originalité de celle-ci. Il connut un succès certain dans les premières années (du début des années 1950 jusqu'au milieu des années 1970) puisque lui fut décerné le grand prix catholique de littérature en 1962 (prix Maximilien Kolbe). La presse nationale le flatte, notamment le journal Le Monde, ainsi qu'en a témoigné Pierre Chaunu. Ce dernier relate : "Il s'ensuit, comme de juste, que ses collègues universitaires lui en veulent. Puis les choses se gâtent. Dans "Sciences de l'univers et problèmes métaphysiques" (1976), il a osé l'apologétique..." En 1983 commence la descente aux enfers avec la parition du "Christ hébreu" dans lequel il remet en cause le 'dogme' de la rédaction tardive des évangiles, tenue pour acquise par les spécialistes en Ecriture Sainte (ou réputés tels). L'intolérance de la Pensée unique se déchaîne alors et met tout en oeuvre pour le discréditer, en laissant planer un doute sur ses compétences historiques et théologiques.

 

Il reste que, avant que ne survienne cette polémique, les écrits déjà parus n'avaient pas semblé être dénués d'intérêt pour l'orthodoxie catholique, puisque le pape Paul VI "voyait en lui un des rares penseurs chrétiens en qui on pouvait faire confiance... en excellente compagnie avec Jacques Maritain et Jean Guitton"Ce même Jean Guitton qui disait de lui : "Mon maître".

 

De même, le fait d'enseigner à La Sorbonne et d'être correspondant de l'Institut, justifiait la place officielle qu'il occupait dans le monde du savoir et de la culture.

 

Pour André Frossardles choses furent un peu différentes, car c'est le parcours d'un mystique qui a rencontré Dieu par hasard ("comme on rencontre un platane" disait-il avec humour ), qu'il convient d'apprécier.

 

Après sa conversion subite, seul son proche entourage fut informé de ce qu'il avait vécu. Il fit carrière dans le journalisme, à l'Aurore d'abord ; au Figaro ensuite où il écrivait chaque jour un petit "billet d'humeur" intitulé Cavalier seul. C'est en 1969 qu'il accéda véritablement à la notoriété lorsque fut publié son livre-témoignage "Dieu existe je l'ai rencontré".

 

On pourrait supposer qu'il fut seulement marqué par cet évènement extraordinaire qui bouleversa sa vie (l'irruption soudaine du divin dans une vie ordinaire n'étant pas chose courante...). La réalité fut plus cruelle. Un an à peine après s'être marié (et son premier fils, Michel, âgé de moins de 3 mois), il fut arrêté à Lyon par les Allemands le 10 décembre 1943, et emprisonné au fort de Montluc pour faits de résistance. Il avait presque 29 ans. Il resta enfermé dans ce qu'on a appelé plus tard la baraque aux juifs jusqu'en août 1944. Sur les 79 personnes qui étaient encore en vie à ce moment là, seules 7 d'entre elles (dont André) survécurent. Pendant les 8 mois de sa détention, chaque jour il craignait de faire partie de ceux qui étaient appelés par les Allemands à partir "sans bagages ", c'est à dire à être mené devant le peloton d'exécution.

 

Après qu'il en fût sorti, André dira de ce cauchemar : " Pendant des années, la main immatérielle du rêve m'a reconduit presque chaque nuit en prison..."Il précisa aussi de quelle manière il était perçu par ses compagnons d'infortune, lesquels étaient témoins de la foi qui l'animait malgré tout : "Il y en avait qui me disaient, "et encore ! toi, tu as de la chance ! tu es croyant !" Dans l'imagination populaire, un croyant, ça ne souffre pas. C'est un être surnaturel, blindé. La certitude de se réveiller un jour dans l'autre monde avec des frisettes et une guitare sur les genoux doit l'emporter sur tout autre sentiment... J'avais beau leur expliquer, donner des exemples, je leur disais "voyons ! quand tu vas chez le dentiste, tu es bien sûr d'être soulagé en sortant, ça ne t'empêche pas de te trémousser sur le fauteuil pendant qu'on promène la fraise dans tes dents creuses... La religion, c'est pareil, ça n'empêche pas le mal de mer et les sentiments... Rien n'y faisait. Ils insistaient : "Ah ! si j'étais croyant !" ".

 

Quand la guerre fut terminée, la vie reprit son cours normal pendant quelque temps. Une deuxième naissance était attendue pour les premiers mois de l'année 1949. Ce fut un drame. Le 14 février 1949 naquit et mourut le deuxième fils qu'on prénomma Dominique. Le malheur ne s'arrêta pas là. Quatre ans plus tard, le fils aîné, Michel, mourut à son tour le 4 avril 1953, un Samedi Saint , âgé d'à peine 10 ans. Si la naissance de deux filles vint par la suite adoucir sa vie (et celle de son épouse), il resta marqué pour toujours par toutes ces tragédies qu'il avait vécues en l'espace de 10 ans. Il disait de sa vie : "quand  on en fait le résumé, on aperçoit que ça va de la morgue à des tombes... Je n'ai pas du tout été ménagé par l'existence ...".

 

Outre son livre "Dieu existe je l'ai rencontré", André écrivit de nombreux autres ouvrages, tous empreints de la même volonté de témoigner de la vérité du christianisme. On citera notamment : "Il y a un autre monde", "Dieu en questions", "L'homme en questions", "L'art de croire" , "Les 36 preuves de l'existence du diable", "N'oubliez pas l'amour" (livre consacré à la vie de Maximilien Kolbe).  Devenu l'ami personnel du pape Jean-Paul II, qui avait lu l'édition polonaise de "Dieu existe..." et demandé à faire plus ample connaissance de son auteur, il écrivit trois ouvrages à lui consacré : "N'ayez pas peur", "Le monde de Jean-Paul II", et "Défense du pape".

 

De manière plus incisive, il écrivit un livre "le parti de Dieu"  adressé aux évêques de France pour leur faire le reproche de s'être trop éloigné du spirituel en "multipliant les concessions à la mode intellectuelle, les compromis avec le monde...", justifiant le bien fondé de ses propos en soulignant avec une ironie féroce : "Vous parlez de moins en moins comme Saint Paul, et de plus en plus comme un sénateur centriste. Sur quoi l'auteur, qui a passé sa vie à défendre l'Eglise, a quelques remarques à vous faire ". On comprendra qu'il se soit fait quelques solides inimitiés au sein du clergé... (à l'exception de Jean-Paul II qui lui conservera toute son amitié jusqu'à sa mort, le 2 février 1995).

 

Elu à l'Académie Française en 1987, il demeura tout à sa tâche : témoigner, encore et toujours témoigner. Il précisa même un jour lors d'une interview : "Je m'adresse à ceux qui, comme moi, ont été bousculés et presque, par moments, détruits par les duretés, les cruautés de la vie. Je m'adresse au chrétien chancelant, au chrétien qui doute, à celui que l'épreuve a couché ou renversé... C'est à ces frères là et à ces soeurs  dans le malheur et qui doutent que je m'adresse. Je voudrais leur rendre un peu d'espérance, et au besoin, d''enjamber les difficultés de la foi, pour entrer directement dans l'espérance, et leur dire : "mais vous avez raison de croire... Mais vous avez raison d'espérer." La foi n'est pas vaine, j'en ai la certitude absolue et aussi l'espèce de disgrâce de me promener avec des certitudes absolues dans un monde qui est dans le doute intégral...".

 

Après m'être informé auprès de proches l'ayant connu, il m'a été donné d'apprendre qu'André Frossard avait connu Claude Tresmontant (sans pour autant le fréquenter assidûment), et qu'il l'appréciait...

 

En guise de conclusion, résumons les similitudes qui apparaissent au cours de leurs deux vies :

- Naissance et éducation jusqu'à l'adolescence dans un milieu athée ;

- Proximité avec le judaïsme et le protestantisme ( André Frossard avait pour grand mère paternelle une femme juive, née Schwob, et des grands parents maternels de tradition protestante. Claude Tresmontant s'éveilla au christianisme par le protestantisme et il fut un hébraïsant hors du commun...) ;

- Baptême voulu à l'âge de 20 ans (résultant d'une conversion subite pour André Frossard ; faisant suite à une réflexion raisonnable pour Claude Tresmontant) ;

- Accueil favorable par la papauté ( Paul VI pour Claude TresmontantJean-Paul II pour André Frossard) ;

- Reconnaissance "sociale", au moins un certain temps, par l'intelligentsia de l'époque ;

 - Témoignage incessant par les deux hommes de la vérité du christianisme ;

- Inimitié d'un grand nombre de gens d'église... expliquant peut-être l'oubli entretenu de l'oeuvre de ces deux hommes hors du commun. 

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1 janvier 2013 2 01 /01 /janvier /2013 00:00



 

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30 décembre 2012 7 30 /12 /décembre /2012 12:37

Au sein du catholicisme contemporain, en France, deux hommes se sont manifestés pour attester, chacun à leur manière, la vérité du christianisme. Ils l'ont fait au cours de la même période, s'étalant grosso-modo des années 1960 aux années 1990.

 

Si l'un est bien connu des lecteurs de ce blog, l'autre, André Frossard est sans doute plus ignoré. Or, il m'est apparu que le parcours de vie de ces deux hommes présentait un certain nombre de points communs qui méritaient d'être soulignés.

 

Commençons par leur jeunesse.

 

Claude Tresmontant, né le 5 août 1925, est issu d'un milieu athée. Pierre Chaunu (collègue historien, professeur émérite à la Sorbonne, membre de l'Institut, décédé en 2009) et Paul Mirault (qui fut l'un de ses étudiants, toujours en vie et qui a écrit notamment deux ouvrages consacrés à son maître), relatent à ce propos : "A 10 ans, il vendait l'Humanité dans la rue, le dimanche. Mais, comme il était encore à l'époque un peu difficile de ne pas entendre parler du christianisme dans l'évolution d'un jeune lycéen français, une juste curiosité le conduisit à s'intéresser au seul essentiel, la vie, la mort, le pourquoi, le comment, en un mot : le sens. Alors qu'il a 18 ans, il lit les évangiles et est frappé par le réalisme qui se dégage de ces quatre textes qui ressemblent plus à des témoignages qu'à des mythes religieux. Après son bac, il entreprend d'étudier la philosophie des sciences à la Sorbonne, puis les sciences bibliques et l'hébreu à l'école pratique des hautes études. De lui, le grand rabbin de l'époque, Jacob Kaplan, disait : 'Ce Juste parmi les Nations est l'homme au monde qui sait l'hébreu ; nous, nous savons de l'hébreu.'"

 

Il reçoit le baptême à 20 ans, en raison du choix raisonné qui fut le sien dès cette époque - on était à la fin de la Deuxième guerre mondiale. Il fut éveillé à la foi par la Mission populaire du Foyer de l'Âme Protestante, mais il préféra opter pour le catholicisme.

 

Pendant 10 ans, maître d'internat au lycée Saint Louis, il étudie les langues anciennes, toutes les sciences (physique, sciences de l'univers, biologie...), véritable Pic de la Mirandole égaré au XXe siècle.

 

André Frossard, né le 14 janvier 1915, est également né dans un milieu athée. Son père, Louis Oscard Frossard, encore appelé Ludovic Oscar, fut le premier secrétaire du Parti Communiste Français lorsque celui-ci vit le jour, lors de la scission d'avec la SFIO au Congrès de Tours en 1920. Dans son livre-témoignage paru en 1969, "Dieu existe, je l'ai rencontré", André Frossard indique : "Dieu n'existait pas. Son image, enfin les images qui évoquent son existence ou celle de ce que l'on pourrait appeler sa descendance historique, les saints, les prophètes, les héros de la Bible, ne figuraient nulle part dans notre maison. Personne ne nous parlait de Lui." C'est pourtant le même André Frossard qui écrira, dans ce même livre : "il se trouve que je sais, par extraordinaire, la vérité sur la plus disputée des causes et le plus ancien des procès : Dieu existe, je l'ai rencontré."

 

Cette rencontre eut lieu à Paris, rue d'Ulm, près du Panthéon, dans une chapelle - qui n'existe plus à l'heure actuelle, remplacée par l'Institut Pierre et Marie Curie - le 8 juillet 1935. Laissons André nous décrire l'événement : "Entré à 17 h 10 dans une chapelle du quartier latin à la recherche d'un ami, j'en suis sorti à 17 h 15 en compagnie d'une amitié qui n'était pas de la terre. Entré là sceptique et athée d'extrême-gauche, et plus encore que sceptique et plus encore qu'athée, indifférent et occupé à bien d'autres choses que d'un Dieu que je ne songeais même plus à nier, tant il me semblait passé depuis longtemps au compte des profits et pertes de l'inquiétude et de l'ignorance humaine, je suis ressorti quelques minutes plus tard catholique, apostolique romain, porté, soulevé repris et roulé par la vague d'une joie inépuisable."

 

Il reçut le baptême quelque temps plus tard, âgé lui aussi de 20 ans à l'époque. Il ajoute : "J'insiste. Ce fut une expérience objective, quasiment de l'ordre de la physique, et je n'ai rien de plus précieux à transmettre que ceci : au delà, ou plus exactement à travers le monde qui nous environne et nous intègre, il est une réalité, infiniment plus concrète que celle à laquelle nous faisons généralement crédit, et qui est l'ultime réalité devant laquelle il n'y a plus de questions." Il souligne encore : "Tout ce que je peux dire est que j'ai été fait catholique ce jour là... et non protestant, ni musulman, ni juif à part entière. J'ai été aussi surpris de me voir catholique à la sortie de cette chapelle, que je l'eusse été à me voir girafe à la sortie d'un zoo". Et à ceux qui trouvaient curieux qu'on puisse si facilement sortir catholique d'une chapelle de cette religion et lui rétorquaient qu'il serait sans doute sorti musulman d'une mosquée ou bouddhiste d'un temple, il leur répondait ceci : "qu'il lui arrivait de sortir d'une gare sans être un train!" 

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23 décembre 2012 7 23 /12 /décembre /2012 17:05

Ce qui nous frappe, lorsque nous observons l'univers et toutes les réalités qu'il contient (nous y compris), c'est que rien ne semble devoir sa propre existence à soi-même [1]. Tout ce qui existe dans le monde naît, croît, s'use et meurt. Rien ne semble éternel - tout paraît provisoire et passager.

 

De là, une question naît spontanément dans l'esprit de celui qui réfléchit aux réalités qu'il perçoit et découvre ; une question première, fondamentale - sans doute la toute première question, de laquelle découle toutes les autres que nous nous posons. Cette question première, fondamentale, que suggère l'existence même de l'univers, est : d'où vient que l'univers existe? D'où vient que nous existions - lors même que nous aurions ne pas exister, tant chacune de nos existences est improbable? [2]

 

De cette question, il existe un certain nombre de variantes. Par exemple, le "Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien" de Leibniz, dont Tresmontant n'aimait pas trop la formulation - qui laissait supposer qu'il puisse n'y avoir "rien" (ce qui est impensable à partir du moment où il existe quelque chose). Il préférait de loin cette formulation-ci : "N'y a-t-il que du monde, que de la nature?" ou bien"L'existence du monde seul est-elle pensable?" ou bien encore "Ce monde suffit-il?"

 

En filigrane transparaît une question subséquente : celle de l'Absolu. "Y a-t-il un Absolu, ou bien seulement du monde, du contingent, du multiple, du périssable? Et s'il y  un Absolu, quel est-il? Est-ce le monde lui-même qui est absolu? Ou bien si le monde ne peut l'être, cet Absolu, qu'est-il donc? Pouvons-nous le connaître et comment?" [3]

 

Notons au passage que nous entendons ici le mot "Absolu" en son sens étymologique : qui ne dépend de rien ni de personne pour exister, pour être ce qu'il est comme il est. Compris en cette acception, la question fondamentale, première, peut-être formulée ainsi : "Le monde est-il l'Absolu ou bien ne l'est-il pas?" S'il ne l'est pas : "L'Absolu existe-t-il?" S'il existe : "Quel est-il?"

 

Un deuxième filigrane apparaît alors. Une question beaucoup plus "polémique" dans sa formulation - mais inéluctable. Une question qui ne laisse personne indifférent, et suscite beaucoup de passions. Cette question est : "Dieu existe-t-il?" Dieu s'entend ici de cet Absolu qui n'est pas le monde, et à qui le monde doit son existence. Il est l'une des alternatives possibles à l'absoluité du monde. Si le monde est l'Absolu, Dieu n'existe pas - car il ne peut exister deux Absolus. Si le monde n'est pas l'Absolu, et que l'Absolu n'existe pas, Dieu n'existe pas - car l'Absolu, il est. Si le monde n'est pas l'Absolu et que l'Absolu existe, alors Dieu existe. Il restera à chercher lequel - parmi toutes les propositions religieuses existantes ; c'est là une question ultérieure qui se posera naturellement, une fois que l'on aura admis l'existence de Dieu.

 

La question de l'existence de Dieu n'est donc pas une question "biaisée" - qui serait illégitimement introduite par quiconque préjugerait, avant toute analyse, l'existence de Dieu. Elle est posée par l'existence même de l'univers. C'est lui-même, l'univers, qui nous la pose. C'est l'univers qui nous présente "Dieu" comme l'une de ses sources possibles. On comprend mieux ainsi pourquoi cette question est aussi ancienne que le monde - ou à tout le moins : que l'homme. Parce que Dieu apparaît comme la seule alternative rationnelle à l'absoluité du monde [4]. Ou bien le monde est l'Absolu - il ne dépend de rien ni de personne pour être ce qu'il est comme il est. Ou bien il ne l'est pas. S'il ne l'est pas, Dieu existe - reste à savoir qui Il est.

 


[1] Cf. notre article du 2 novembre 2012, L'univers n'est pas créateur de lui-même.

[2] Cf. notre article du 23 septembre 2012, Notre vie est un miracle.

[3] Claude Tresmontant, in Essai sur la Connaissance de Dieu, Cerf 1959, p. 9.

[4] Je dis "rationnelle", parce que l'autre alternative (selon laquelle "l'Absolu n'existe pas") est absurde, ainsi que nous le verrons.

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18 décembre 2012 2 18 /12 /décembre /2012 20:58

Je me nomme Jean Alardin. Né en avril 1942, je ne suis plus de la première jeunesse... Je suis marié, père de famille et grand-père.

 

Jusqu'à l'âge de ma retraite en 2007, j'ai exercé une double activité, à savoir expert-comptable indépendant et commissaire aux comptes, ainsi qu'une activité d'enseignant universitaire à la Faculté de Droit à titre de Maître de Conférence associé.

 

Catholique du "berceau", pratiquant dans ma jeunesse, j'ai abandonné petit à petit la pratique et laissé place à l'usage du "doute systématique" en matière religieuse.

 

Mes racines catholiques n'étant pas complètement arrachées pour autant, j'ai continué à m'interroger sur la valeur spirituelle des religions, et spécialement sur ce qui était vraiment au coeur du christianisme.

 

J'ai alors eu la chance de lire le livre-témoignage d'André Frossard, "Dieu existe, je l'ai rencontré", ainsi que de nombreux autres ouvrages de ce même auteur qui m'ont permis de faire le point et de tirer un trait sur mon "doute systématique". Quelques années plus tard (vers 1990), j'ai fait la connaissance avec les écrits de Claude Tresmontant qui ont complété, avec une approche différente, ceux d'André Frossard.

 

Il m'est apparu que les deux hommes rendaient témoignage de façon incessante, chacun à sa manière, à la vérité du christianisme (avec un souffle mystique marqué - et pour cause - chez André Frossard, et une place prépondérante faite à la raison, à l'intelligence, chez Claude Tresmontant).

 

Dès lors, le christianisme catholique redevenait LA voie unique qui fournissait l'explication la plus achevée de la présence de l'Univers et du destin de l'humanité à travers le destin individuel de chaque homme créé - "Dieu ne compte que jusqu'à un" se plaisait à répéter André Frossard.

 

Voilà ce qui fait que le vieil homme que je suis aujourd'hui a su refaire place à l'Espérance, qui est bien la vertu de la joie de vivre, indissociable, en vérité, des deux autres qui sont sa raison d'être : la Foi et l'Amour (plus souvent nommé Charité).

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9 décembre 2012 7 09 /12 /décembre /2012 10:56

J'ai évoqué dans mon précédent article le gros sac en cuir de plombier de Monsieur Tresmontant, contenant la Bible en hébreu, la Bible de la Septante, le Nouveau Testament en grec et en latin, l’Enchiridion Symbolorum Definitionum Declarationum, la Conciliorum Decumenicorum Decreta et bon nombre d’autres livres...

 

Voici la photo d'un sac à outil pour que vous ayez une petite idée du fameux sac de Monsieur Tresmontant :

Sac à outils

Le sien était un peu moins long et avait deux ceintures de fermeture au lieu de trois. La couleur et la forme sont bonnes. Si le sac en photo avait 15 centimètres de moins, on pourrait vraiment croire que c’est le sien ! Il était très usé, car Monsieur Tresmontant l’utilisait sans doute depuis plus 20 ans, chaque fois qu’il venait enseigner à la Sorbonne. La couleur initiale du sac devait être brune, comme sur la photo, mais en réalité, au début des années 80, la couleur d’origine n’était plus identifiable...

 

Monsieur Tresmontant ne posait jamais son sac sur le sol. Je ne sais si c’était à cause de la nature sacrée des livres se trouvant à l’intérieur, ou bien si c’était pour ne pas en abimer ou salir le fond.

 

Le sac était si lourd que Monsieur Tresmontant boitait en marchant. Quand je l'ai vu marcher de cette façon pour la première fois en 1982, j'étais persuadée qu'il avait des troubles de marche dus à une infirmité, et je me sentais désolée et attristée. Mais aussitôt après, j'ai constaté que la cause de ses 'troubles de marches' était le poids du sac...

 

Monsieur Tresmontant aimait beaucoup son sac de plombier, il en était fier. Pendant les deux premières années, je ne savais pas que c'était un sac de plombier, je le trouvais beau et chic. Un jour, il me l'a avoué, et il a fait un grand sourire en voyant mon étonnement.

 

Tous les étudiants étaient fascinés par ce sac et son contenu. Pour nous, c'était un sac magique qui contenait des livres très spéciaux - un objet qui représentait symboliquement Monsieur Tresmontant, car nous savions que le contenu entier du sac se trouvait dans le cerveau de notre grand professeur.

 

L’image du sac de plombier est ineffaçable de la mémoire de ceux qui ont suivi Monsieur Tresmontant de près.

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  • : Le blog Claude Tresmontant
  • : Blog consacré à l'un des plus grands métaphysiciens catholiques du XXe siècle, qui démontra le caractère irrationnel de l'athéisme.
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