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7 octobre 2012 7 07 /10 /octobre /2012 19:21

Je voudrais réagir à un récent article de l’Abbé Eric de Beukelaer sur son blog personnel, intitulé « Pratiquants non croyants ».

 

Après avoir déploré (à juste titre) la « religiosité sociale » de certains catholiques – l’attitude de ceux qui vont à la messe sans avoir vraiment conscience de ce qu’ils font et de ce que cela implique dans le concret de leur vie (qu’il appelle, non sans humour, les « pratiquants non croyants ») –, le Père rapporte un extrait de l’interview donnée dans le quotidien belge « La Libre » du jour, par le prix Nobel Christian de Duve : « Les gens, déclare ce dernier, n’ont pas appris à raisonner avec la rigueur et l’honnêteté intellectuelle qu’essaient d’observer les scientifiques, à pratiquer le doute méthodique dont parlait Descartes. Ils manquent d’objectivité et sont obnubilés par des croyances et des certitudes qui ne se fondent sur aucune réalité démontrable. C’est vrai du Pape qui parle de “vérités révélées” et donc, non contestables et qui est pourtant suivi par 1,5 milliard de gens ».

 

Cette « sortie » du prix Nobel de médecine lui vaut cette réplique cinglante du Père Eric de Beukelaer : « Comment un homme aussi intelligent et respectable, qui a baigné bien plus que moi dans un catéchisme à l’ancienne, peut-il sortir une phrase aussi énorme du point de vue épistémologique? Comment peut-il tomber à pieds joints dans le piège du « rationalisme concordiste », qui consiste à prétendre que la méthode scientifique est la seule qui fasse sens? Comment peut-il à ce point confondre une affirmation scientifique visant la réalité finie et quantifiable avec une adhésion de foi, touchant à l’infini et donc à l’indémontrable? Et quid de la poésie et de la danse? Leur vérité sont-elles démontrables? Je pense que le professeur de Duve a longtemps été un pratiquant non croyant, avant de se reconnaître agnostique. Il a adhéré durant sa jeunesse à des « preuves de l’existence de Dieu » et des « raisons de croire », avant de les laisser tomber comme peu crédibles. Mais jamais, sans doute, ne fit-il l’expérience intime du Ressuscité. »

 

Le Père de Beukelaer a tout à fait raison de rappeler au scientifique que les sciences modernes ne sont pas la seule voie d’accès au réel – que la science a ses limites, et qu’elle est impuissante à appréhender des réalités non matérielles comme l’amour, la beauté, la liberté, le bien et le mal, la pensée, « la poésie et la danse ». La science aujourd’hui reconnaît elle-même qu’elle ne pourra jamais atteindre le fond du réel – validant du même coup la pertinence d’un regard de nature philosophique et/ou religieux sur le monde. Le scientisme du XIXe siècle a vécu : on sait aujourd’hui que les sciences « dures » ne regardent le monde que sous un aspect particulier qui ne dit pas TOUT du réel et n’exclut pas d’autres angles d’approches, complémentaires et tout aussi valables, qui en appellent au sens profond des choses.

 

Il me semble toutefois qu’il y a quelque chose de très juste dans la critique de Christian de Duve, que le Père ne relève pas dans son billet – mais qu’il me paraît important de considérer si l’on veut vraiment entrer en dialogue avec la pensée contemporaine. C’est que « Les gens n’ont pas appris à raisonner avec la rigueur et l’honnêteté intellectuelle qu’essaient d’observer les scientifiques (…). Ils manquent d’objectivité et sont obnubilés par des croyances et des certitudes qui ne se fondent sur aucune réalité démontrable. »

 

C’est un constat que l’on est bien obligé de poser, avec Christian de Duve. Une réalité dénoncée par un grand prélat de l’Eglise catholique, Mgr André Léonard, dans son maître-ouvrage « Les raisons de croire » : « La moyenne des croyants, écrit-il, est (…) exposée à l’erreur du fidéisme » qui consiste à concevoir la foi en Dieu comme une « pure affaire d’expérience ou de sentiment, une question de conviction personnelle », une croyance aveugle et inconditionnelle n’ayant rien à voir avec la raison. « Même dans la jeunesse universitaire – celle que je connais le mieux –, il me semble que le péril qui menace le plus directement les chrétiens sur le plan intellectuel est celui du fidéisme. Il se présente sous les traits d’une foi généreuse mais insuffisamment éclairée et risquant, par là même, de n’être qu’un feu de paille vite étouffé par la compétence acquise en matière profane et par les soucis professionnels et familiaux de l’âge adulte. »

 

Plutôt que de répondre au prix Nobel en lui montrant à quel point il se trompe lorsqu’il critique le Pape, à qui il reproche d’enseigner à une part importante de l’humanité des « “vérités révélées” et donc, non contestables » – sans voir que, dans la pensée des Papes, cette foi dans les vérités révélées s’appuie sur des preuves très solides, échappant du même coup au reproche adressé aux « croyances et (…) certitudes qui ne se fondent sur aucune réalité démontrable » –, le Père de Beukelaer préfère opposer à la pensée scientifique du Nobel de Médecine « l’expérience intime du Ressuscité » : comme s’il fallait choisir entre la raison raisonnante du savant et la vie spirituelle du croyant – comme s’il y avait une cloison étanche entre la raison naturelle et la foi surnaturelle – comme s’il n'existait aucune relation entre l'une et l'autre.

 

Quand on lit le Père de Beukelaer, on n’échappe pas à la fâcheuse impression que lui-même ne croit pas vraiment dans les « preuves de l’existence de Dieu » et [les] « raisons de croire » » que Christian de Duve a, selon lui, laissé « tomber comme peu crédibles ». Le Père joue sur la dialectique entre la science – qui viserait une « réalité finie et quantifiable » – et la foi, qui toucherait, elle, à l’infini « et donc à l’indémontrable ». Si l’on suit le Père dans cette logique, on sera amené à penser que Dieu étant une réalité infinie et non quantifiable, il échappe à toute démonstration ; qu’on ne peut Le connaître qu’en croyant en lui, à son existence, et dans les vérités qu’il nous révèle ; que pour devenir croyant, il faut faire le saut : de la raison à la foi. Ce saut est justifié, nous dit le Père, par le fait qu’il existe des vérités indémontrables (la poésie, la danse…) auxquels le scientifique croit sans difficultés quand il sort de son laboratoire. Si le scientifique est capable de connaître ces réalités qui n’entrent pas dans son champ d’analyse professionnel, rien ne l’empêche a priori de croire en Dieu. Car autre chose est la science (qui appartient au domaine rationnel de ce qui est démontrable – et relève d’une analyse objective) ; autre chose est la foi (qui appartient au domaine spirituel indémontrable – et relève de l’expérience intime, subjective). L’important est de savoir faire épistémologiquement la part des choses.

 

Le problème, c’est que, si l’on peut justifier, sur le principe, la croyance en des vérités non matérielles – transcendantes en quelque manière – (au nom de l’expérience que tout le monde fait, y compris les scientistes les plus endurcis), cela ne suffit pas pour fonder notre foi dans le Dieu d’Israël, le Dieu de Jésus-Christ. Pourquoi croire en ce Dieu là plutôt qu’en un autre ? Pourquoi choisir Jésus-Christ, plutôt que Mahomet ou Bouddha ? Pourquoi choisir l’Eglise catholique, plutôt que la franc-maçonnerie, ou une philosophie de vie athée ? Après tout, nous sommes dans le domaine des choix intimes et personnels – de la liberté de chacun d’orienter sa vie comme il l’entend. Il est des croyants d’autres religions qui font aussi une « expérience intime » de Dieu – et dont il est impossible de dénier l’authenticité. Et il est des non croyants qui développent une éthique de vie remarquable, qui les comble d'un bonheur naturel et dont beaucoup de chrétiens pourraient s’inspirer.

 

On ne peut donc échapper à la question de la vérité objective de la foi chrétienne – sauf à tomber dans le subjectivisme et le relativisme ; dans le fidéisme.

 

Que le foi ouvre la raison humaine à des horizons qui dépassent infiniment ses capacités naturelles, c’est une évidence ; qu’elle donne accès à des vérités révélées qui ne sont pas démontrables et que l’on ne peut que croire pour les connaître, voilà qui est absolument certain (comment démontrer rationnellement, par exemple, la présence réelle de Jésus-Christ dans l’eucharistie ? ou le mystère de sa naissance virginale ? ou l’existence de l’enfer ? des anges, bons et mauvais ?....). Mais il est important ici de considérer que, si le croyant adhère à ces vérités de foi qu’il tient pour révélées, c’est qu’il a des raisons de le faire. Il a des raisons de penser que Dieu existe ; qu’Il s’est révélé à Israël ; qu’Il s’est incarné en Jésus-Christ ; qu’Il a fondé l’Eglise catholique en l’assurant de son assistance infaillible dans l’enseignement des vérités de la foi et de la morale. Le croyant croit parce qu’il sait. Il sait que la Vérité existe ; il sait qu’elle s’est manifestée en Jésus-Christ ; qu’elle a été confiée à l'Eglise ; qu'elle le dépasse infiniment ; et il accepte humblement de se laisser enseigner par elle. Mais il n’y consent que dans la mesure où il l’a préalablement reconnue pour ce qu’elle est : la Vérité absolue, indépassable. Voilà pourquoi la foi est fondamentalement un acte de l’intelligence.

 

Un commentateur de l’article du Père de Beukelaer rappelle très opportunément les fondements rationnels de la foi chrétienne : « d’abord, je professe que Dieu, principe et fin de toutes choses, peut être certainement connu, et par conséquent aussi, démontré à la lumière naturelle de la raison « par ce qui a été fait » Rm 1, 20, c’est-à-dire par les œuvres visibles de la création, comme la cause par les effets.

 

« Deuxièmement, j’admets et je reconnais les preuves extérieures de la Révélation, c’est-à-dire les faits divins, particulièrement les miracles et les prophéties comme des signes très certains de l’origine divine de la religion chrétienne et je tiens qu’ils sont tout à fait adaptés à l’intelligence de tous les temps et de tous les hommes, même ceux d’aujourd’hui.

 

« Troisièmement, je crois aussi fermement que l’Eglise, gardienne et maîtresse de la Parole révélée, a été instituée immédiatement et directement par le Christ en personne, vrai et historique, lorsqu’il vivait parmi nous, et qu’elle a été bâtie sur Pierre, chef de la hiérarchie apostolique, et sur ses successeurs pour les siècles. »

 

L’esprit scientifique trouve donc à s’appliquer dans la démarche de foi : il en est le préambule naturel. Sans cette démarche préalable de la raison scientifique, le croyant n’est pas vraiment croyant, mais fidéiste. C’est la raison pour laquelle la formation des prêtres catholiques commence par deux années de philosophie, où le futur homme de Dieu est introduit dans la pensée de Saint Thomas d’Aquin, qui reprend et développe celle d’Aristote – qui n’est autre que l’inventeur… de la méthode scientifique ! 

 

Pour découvrir la vérité sur le monde et sur nos vies, il n’est d’autre moyen que de partir de l’observation du réel perçu dans l’expérience sensible, et d’utiliser notre raison pour déchiffrer les informations que nous y trouvons. C’est cela la démarche scientifique ; et c’est cela aussi la démarche initiale du croyant. La raison scientifique, loin d’être un lieu de division, d’opposition, entre le savant et le croyant, me paraît tout au contraire un lieu privilégié de rencontre et de dialogue : un point de convergence fondamental.

 

« L’humanité est de plus en plus formée par les sciences expérimentales, et c’est un grand bien pour elle. L’intelligence humaine apprend à distinguer le réel du fantasme, l’expérience du mythe, la pensée rationnelle du délire. Elle apprend quels sont les critères de la vérité et les critères de la certitude. Non seulement le message que constitue le monothéisme chrétien doit être présenté en sorte qu’il soit désirable, mais de plus il doit être exposé de telle sorte que l’intelligence humaine puisse s’assurer qu’il est vrai » (Claude Tresmontant, in L’histoire de l’Univers et le sens de la Création).

 

Si le croyant croit en l’existence de Dieu, c’est parce qu’il regarde l’Univers. Il voit que l’Univers n’est pas éternel – il en induit qu’il n’est pas incréé. Il voit que l’Univers est ordonné, structuré mathématiquement – il en induit qu’il a été créé par une Intelligence. Il voit que l’Univers contient des êtres personnels, capables de dire JE et TU – il en induit que l’Intelligence créatrice de l’Univers est de nature personnelle. Il a démontré ainsi rationnellement l’existence de Dieu, et constaté qu’il n’existe aucune alternative rationnelle à l’existence de Dieu – car le néant et le hasard ne sont pas des explications satisfaisantes pour rendre compte de l’existence de l’Univers et de chacun de nous.

 

Si le croyant maintenant croit que Dieu s’est révélé à Israël, c’est parce qu’il regarde l’histoire du peuple hébreu. Il voit que « le Dieu d’Israël ne demande pas aux enfants d’Israël de ‘croire’ en Lui aveuglément, sans raison, sans justification, sans certitude fondée, sans connaissance. Le Dieu d’Israël ne demande pas aux enfants d’Israël de ‘croire’ en Lui au sens moderne du mot ‘croire’ : sans la connaissance, sans la certitude fondée sur une expérience analysée d’une manière rationnelle » – qui est la méthode scientifique. « Au contraire, il leur propose, depuis l’élection d’Israël, depuis la sortie d’Egypte, une expérience historique, et le prophète est chargé d’interpréter aux yeux du peuple cette expérience, de la lire, de la rendre intelligible. L’expérience historique dont Israël est le témoin vivant atteste qu’en effet, Celui qui parle par la bouche des prophètes est aussi Celui qui opère dans l’histoire. C’est bien là une connaissance, avec des arguments, des preuves, une expérience fondamentale qui demande à être interprétée, et qui ne peut pas être interprétée de n’importe quelle façon. »

 

« Le fait de la manifestation, de la révélation, de l’opération du Dieu vivant en Israël n’est pas une question de ‘foi’ au sens contemporain du terme, mais une question de CONNAISSANCE – connaissance fondée, comme toute connaissance authentique, sur une expérience interprétée par la raison. » Donc sur la méthode scientifique. « Le fait que Dieu s’est manifesté en Israël et qu’il a opéré dans l’histoire, cela est CONNU, si l’on veut bien examiner le donné, en l’occurrence l’histoire d’Israël et le phénomène prophétique. »(Claude Tresmontant, in le Problème de la Révélation, p. 320)

 

La même analyse scientifique peut-être effectuée sur la personne de Jésus-Christ, en considérant son histoire, ses paroles, ses actes, les fruits visibles de sa vie ; et sur l’Eglise catholique. Nous avons des raisons de croire en la divinité de Jésus-Christ, en sa résurrection et dans la présence de l’Esprit de Dieu dans l’Eglise catholique.

 

Bien sûr, si le christianisme est vrai, si Jésus est bel et bien vivant aujourd’hui, ressuscité, il peut se manifester de manière particulière aux hommes dans une « expérience intime ». Je dirais même que c’est cette expérience intime qui est fondatrice de la foi – et c’est sans doute ce que voulait exprimer le P. de Beukelaer. La foi provient d’une rencontre personnelle avec le Ressuscité. Mais cette rencontre ne se fait pas toujours de manière mystique, sensible. Tous les « croyants pratiquants » authentiques ne peuvent pas dire : « J’ai rencontré le Christ tel jour à telle heure ». La divine rencontre prend diverses formes, emprunte divers chemins. Et la raison en est un – important. On pourrait dire ainsi que l’observation de l’Univers, chez le scientifique croyant, est une « expérience intime du Ressuscité », puisque qu’elle est écoute d’une Parole (d’un Verbe) qui se dit dans le Livre de la Nature ; perception d’un Logos immanent au créé qui lui donne sens.

 

Quoiqu’il en soit de cette rencontre personnelle avec le Christ, la foi ne nous fait pas entrer dans un ordre où la raison n’a pas cours. Même celui qui fait l’expérience mystique du Christ ne peut se convertir que s’il a des RAISONS de croire que c’est bien lui, le Christ, qui s’est manifesté à lui. S’il n’est pas habité par cette conviction rationnelle (étayé par des « signes » qui le persuaderont – même si ces « signes » ne font sens que pour lui), sa démarche spirituelle ne durera pas, faute de racines. L’homme a besoin d’être rationnellement convaincu pour orienter sa vie dans telle direction. Cela fait partie de sa nature – il est fondamentalement un être rationnel ; la négation de la raison est négation de notre humanité.

 

On comprend mieux pourquoi l’attitude de nombreux croyants, adhérant aveuglément à la foi catholique sans la penser de manière rigoureuse, objective et honnête (ces fameux « pratiquants non croyants »), irritent profondément les scientifiques de formation pour qui un tel comportement (fidéiste) n’est pas digne de l’homme. Mais que ces savants soient assurés que telle est aussi la pensée de l’Eglise catholique.

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1 octobre 2012 1 01 /10 /octobre /2012 00:00

Les Origines de la Philosophie chrétienneEffacé dans la gigantesque production de Tresmontant, Les origines de la philosophie chrétienne (qui a reçu l’Imprimatur) constitue pourtant une élégante introduction à son projet de présenter, de la façon la plus claire possible, une anthropologie génétique.

 

Il faut bien comprendre que l’anthropologie chrétienne est tout sauf statique ; elle est un appel à une métamorphose alors que le propre du paganisme est de proposer une pensée du statique, acquise à la durée du monde présente. Ironie de l’histoire, on doit les premiers débuts de la génétique (du grec γ ε ν ν η τ ι κ ο ́ ς, « propre à la génération ») aux travaux du moine Gregor Mendel.

 

Le titre témoigne d’une exigence rationaliste intégrale qui va de l’alpha à l’omega : des origines à la finalité de la création.

 

La « sagesse du monde » : la « gnose »

 

Tresmontant insiste sur la nouveauté radicale de la pensée chrétienne, surtout quand il la compare aux philosophies tentantes qui continuent de se réclamer du bon sens :

 

« Il faut le dire hautement : les philosophies de Platon, de Plotin, comme celles de Spinoza, de Fichte, de Hegel, de Schelling, et finalement de Marx, sont loin d'être délivrées du contenu mythologique hérité, par-delà la philosophie grecque archaïque, des religions helléniques antiques.

 

« Les mythes de la divinité de l'âme, de la pré-existence de l'âme, de la chute de l'âme, la divinisation des astres, le mythe de l'éternel retour, les mythes théogoniques qui informent la philosophie de la religion chez Hegel, les thèses métaphysiques qui confèrent au monde les prédicats de l'absolu - aséité, infinité, éternité, suffisance ontologique, etc - et qui reviennent à diviniser le cosmos, tout comme Héraclite et Aristote le faisaient, tout ce matériel pré-rationnel, et en fait irrationnel, hante les philosophies jusqu'aujourd'hui. Nos libres penseurs sont moins libres qu'ils ne le pensent, et encore trop religieux, quoique dévots de religions qui fleurissent bien des siècles avant notre ère. La philosophie moderne actuelle est encore tributaire des religions égyptiennes, assyro-babyloniennes, helléniques, et même indiennes, qui régnèrent avant le christianisme. »(p. 13)

 

Comme la plupart ont oublié ce qu’est la gnose, ils sont gnostiques à leur dépend au point qu’on peut s’amuser à détricoter le gnosticisme de l’a-gnostique. Dans son monumental ouvrage, Gnosis und spätantiker Geist, Hans Jonas (que Tresmontant recommandait) écrit :

 

« Le concept divin des gnostiques est avant tout beaucoup plus nihiliste que celui de l’univers : Dieu… le néant de l’univers. » (1ère partie, Göttingen, 1934 p.149/151)

 

L’échappée des gnostiques réside en leurs mystères. La connaissance n’est jamais pleinement offerte ; elle exige une initiation. Très vite, les Pères ont vu combien le gnostique s’auto-divinise, se croyant consubstantiel à la divinité ; l’aporie pour celui qui voit son âme comme l'égale de Dieu se fait jour dans cette question toute simple que les Pères de l’Eglise n’ont pas manqué de présenter à leurs adversaires : pourquoi cette âme, parcelle divine, aurait-elle oublié son périple ? (p. 70)

 

La réponse se retourne contre elle-même : aux yeux des gnostiques, il faut se retirer du monde pour le comprendre. Une étape initiatique en délivrerait le secret. Dans leur métaphysique, le monde commence par une tragédie et il s’agit de retourner à l’état d’avant la tragédie première.

 

De leur côté, les prophètes bibliques se situent à l’opposé d’une telle attitude métaphysique : ils disent la parole, la crient s’il le faut. Ils ne la réservent pas à une élite. D’autre part, « les prophètes ne sont pas des porte-plumes de Dieu. Ce sont des coopérateurs que Dieu s'est suscités, qu'il a créés. » (p. 18)

 

Dans Les gnoses dualistes d’Occident, l’historien des religions Couliano observe que le geste gnostique par excellence se traduit par un « génie du camouflage scripturaire » et il s’en explique par le biais des travaux de Voegelin, lesquels précisent combien l’œuvre de Calvin « peut être considérée comme le premier Koran gnostique » (rappelons que, par Koran, Voegelin entend un résumé qui rend caduc le recours à toute connaissance antérieure, la Tradition par exemple). « Calvin achève une rupture totale à l’intérieur de la tradition intellectuelle occidentale. D’autres ruptures, d’autres Korans : l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, l’œuvre d’Auguste Comte, celle de Marx et « la littérature patristique du Léninisme-Stalinisme » (New Science of politics, Voegelin). Le caractère koranique de tous ces ouvrages implique l’exclusion active de tout ce qu’ils se proposent de remplacer. La Réforme déjà ne fonctionne pas selon la règle de l’argument et de la persuasion ; sa vérité est immuable et indiscutable : c’est une société totalitaire (ib., 142). Le totalitarisme est, en effet, l’accomplissement de la quête gnostique d’une théologie civile. » (Nihilisme moderne et gnosticisme in Les gnoses dualistes d’Occident, p.307)

 

Le refus d’accueillir l’humanité dans sa plénitude pour la remplacer par une Sola Scriptura fait contraste avec cette Bible, livre composite «  dans l'humanité, mais qui vient de Dieu, selon les méthodes de l'Incarnation, qui ne détruisent pas la nature, mais au contraire la guérissent, et les surélèvent, afin de l'achever. » (p. 18)

 

En cela, « L'effort de la pensée chrétienne, dans les premiers siècles, se caractérise avant tout comme un effort de rationalisation et de démythologisation. »(p.110) en ayant conscience des tâtonnements de l’humanité dans sa croissance, son histoire toujours accompagnée de l’immanence de Dieu, comme l’atteste le Christ : « Mon père jusqu'à présent est à l'oeuvre, et moi aussi je suis à l'œuvre. »

 

La création de Dieu s’établit par étapes. « Certes, Dieu, quant à lui, pouvait créer l'homme achevé dès le commencement, car tout lui est possible. Mais la création de l'homme comporte des conditions métaphysiques qui ne sont pas quelconques. La mère pourrait donner à son nourrisson des nourritures pour adulte. Mais le nourrisson n'est pas capable de les recevoir. » (p. 104)

 

Ainsi, l’homme est un animal inachevé, appelé à ratifier le don de la vie surnaturelle, en coopérant à la grâce sanctifiante, laquelle est la première opération dans ce processus de divinisation, ce qui suppose la reconnaissance du péché originel dont nous allons consacrer un document spécial.

 

 

Introduction (p.7)

 Chapitre premier : Les racines bibliques de la métaphysique chrétienne (p.20)

 Chapitre II : La métaphysique de la création dans les premiers siècles de l’ère chrétienne (p.33)

 1 – L’affirmation de la création, 36. – 2 – Création et fabrication. L’idée de matière, 40. – 3 – L’Absolu est unique et il est créateur, 49. – 4 – La liberté du Créateur. La Création est un don, 52. – 5 – Création et génération, 54. – 6 – Création et commencement, 58.

 Chapitre III : L’anthropologie chrétienne (p.67)

 1 – Critique de l’anthropologie platonicienne, 67. – 2 – Le mythe origéniste, 72. – 3 – La critique du mythe origéniste, 77. – 4 – La polémique anti-manichéenne, 87 – 5 – La destinée surnaturelle de l’homme, 97.

 Conclusions (p. 109)

 Index (p.115) 

 

 

 

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30 septembre 2012 7 30 /09 /septembre /2012 18:53

Arnaud Dumouch, professeur de religion et de théologie catholique en Belgique, nous introduit, dans une admirable série de clips, à la philosophie réaliste héritée d'Aristote et de Saint Thomas d'Aquin - tradition dans laquelle notre cher Professeur, Claude Tresmontant, s'inscrit résolument. Il nous livre ainsi les clefs pour comprendre les rouages de la pensée de Claude Tresmontant.

 

Dans cette septième vidéo, Arnaud Dumouch revient sur les différentes parties de la philosophie, et présente la classification proposée par le pape Jean-Paul II dans son encyclique Splendor Veritatis. 

 

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23 septembre 2012 7 23 /09 /septembre /2012 11:36

Tout homme s'interroge un jour sur lui-même. Qui est-il, fondamentalement? Que fait-il sur cette terre? Où va-t-il? Sa vie a-t-elle un sens?

 

Si la réponse ne lui apparaît pas avec évidence, la question, elle, s'impose, irrésistiblement.

 

Elle lui est posée par son être même - qui est pour lui-même, disions-nous, un mystère [1]. Ce n'est pas lui, en effet, qui a fait qu'il ait telle apparence physique, tel visage, tel talent naturel, tel caractère. Ce n'est pas lui qui a écrit le code génétique de son ADN. Ce n'est pas lui qui a demandé de vivre dans tel pays, à telle époque. Son être et sa vie, l'homme les reçoit. Cela lui est donné.

 

Pour paraphraser un chanteur populaire (en transposant quelque peu les paroles de sa chanson ), "ce n'est pas l'homme qui prend la vie, c'est la vie qui prend l'homme". Mais quelle est cette "vie" même qui "prend" l'homme, et lui fait le don de l'être?

 

Il faut prendre conscience de la grâce qui nous est faite de vivre - et du caractère miraculeux de notre existence personnelle. Du point de vue des probabilités mathématiques, nous n'aurions jamais dû exister. Notre existence sur la terre était infiniment improbable. Elle dépend de tant d'évènements aléatoires, dont la non réalisation d'un seul aurait suffit à nous laisser pour jamais dans le néant, que le fait que nous soyons doit nous donner le vertige et nous interroger au plus profond de l'âme. Pourquoi moi? Pourquoi suis-je vivant? A quoi le dois-je? A qui (peut-être) le dois-je? C'est une question inévitable pour quiconque regarde sa vie en vérité.

 

"Nous entrons dans la vie comme si elle nous était due, écrit le P. Stan Rougier dans son autobiographie spirituelle, alors que tout est miracle! Jamais je n'ai pu considérer mon existence comme naturelle (...). Ce que je ressens à la fois de plus étranger et de plus personnel en moi, c'est l'impossibilité où je suis de me familiariser avec mon existence." Pour ne prendre que les deux derniers siècles, "il aura fallu pas moins de deux cent cinquante six (256) ancêtres pour que chacun de nous existe! Enlève un seul de ces maillons, fais manquer le rendez-vous entre ton trisaïeul et sa compagne, et tu n'existes pas. Un autre existera, ça ne sera pas toi (...). Chacun de nous doit la vie à un nombre phénoménal d'individus qui se sont cramponnés à la planète contre vents et marées, glaces et bêtes sauvages, hordes voisines et virus... A détourner quiconque de toute pensée de suicide! Notre vie a coûté trop cher à trop de monde!" [2]

 

La raison humaine, forte de son expérience quotidienne la plus concrète [3], ne peut manquer de s'interroger. Si je ne me suis pas inventé moi-même, alors qui? Mes parents? "Nos parents ne nous ont pas inventés. Ils le savent mieux que personne. Ils ont transmis le patrimoine génétique d'une lignée d'ancêtres, c'est déjà un cadeau fabuleux, mais ils ne nous ont pas inventés. Ils ont choisi d'avoir un enfant, mais ils ne nous ont pas choisis, nous. Ils ne sont pas nos créateurs, mais nos pro-créateurs... C'est bien grâce à l'employé des postes qu'un message nous parvient, mais ce n'est pas lui qui a écrit le message." [4]

 


[1] Cf. notre article du 16 septembre 2012, Nous sommes à nous-mêmes un mystère.

[2] Cf. notre article sur le blog Totus Tuus, Je pense... donc Dieu EST!

[3] qui constate qu'un message intelligible provient nécessairement d'une intelligence pensante.

[4] Cf. notre article sur le blog Totus Tuus, Je pense... donc Dieu EST!

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18 septembre 2012 2 18 /09 /septembre /2012 19:07

Comment parler de Dieu - HadjadjIl est convenu d’approcher l’être humain en tant qu’être de symbole et/ou être de nature. Fabrice Hadjadj semble n’avoir d’yeux que pour la première définition. Il a trop peur de sombrer dans le positivisme en abordant la seconde alors qu’elle compte tout autant, même si dans cet essai qui vient de paraître aux éditions Salvador, Comment parler de Dieu aujourd’hui ?, il tente d’associer la parole et l’être… dans son intégralité.

 

Philosophe, professeur et dramaturge, Fabrice Hadjadj est surtout connu dans le paysage culturel pour avoir écrit des essais caustiques sur l’actualité, avec un regard de « catholique ». Habile déconstructeur de notre petit confort quotidien, il n’hésite pas à mettre en oeuvre son esprit de finesse au service d’une critique implacable des « tendances » politico-religieuses ou anthropologiques qui secouent notre modernité, partagée entre écologisme, fondamentalisme, technocratie, trans-humanisme.

 

Si « L’utopie du progrès est la seule barrière contre la barbarie. » selon Max Gallo, « Les totalitarismes nous ont prodigué la démonstration que l'utopie du progrès débouchait sur l'empire de la terreur. » (p. 176) aux yeux de Hadjadj.

 

Bien que son meilleur livre reste sans nul doute Mystique de la chair, il faut aussi souligner certaines lignes redoutables rencontrées dans La foi des démons, Réussir sa mort : anti-méthode pour vivre, Essai sur le paradis : une joie qui dérange.

 

« Reprise d’une conférence prononcée le 26 novembre 2011, à l’invitation de son Eminence le cardinal Stanislas Rylko, durant l’Assemblée plénière du Conseil pontifical pour les laïcs », Hadjadj prend le parti du balbutiement contre le moralisme et le lecteur pourra être touché d’une telle humilité. « L’apôtre qui balbutie comme un homme ivre vaut mieux que celui qui parle comme un livre. » (p. 13)

 

L’essai entend s’interroger sur les modalités de la parole dans le sens du discours chrétien : Comment dire la Parole ? Comment se prétendre parole alors qu’on ne vaut pas mieux qu’un clown ?

 

L’auteur préfère le dialogue et l’échange à la com’ qui incite à consommer : « Dans la parole, le matériel et le spirituel s’épousent indissolublement. » (p. 87)

 

Dans ces conditions, la fameuse « liberté d’expression » finit par se révéler « insidieuse censure », dans la mesure où elle renonce « à la patience de toute pensée véritable, au balbutiement de toute parole nouvelle. » (p. 82)

 

Le philosophe s’offre l’occasion de déconstruire l’utilitarisme, non sans un brin de malice : « Tandis que les autres animaux, par leur communication, ramènent tout ce qui existe au circuit de leur utilité, l’homme, par sa parole, se porte au-delà de ce qui est utile, pour désigner les choses telles qu’elles sont. » (p. 92)

 

Le clown contre le bouffon

 

Alors, comment échapper au piège réceptif de la com’ sans passer par une parole complaisante ? Avec Fanciouille. Avec le clown, ce champion du contemplatif.

 

Si « le comique fait rire en général, tandis que le bouffon se moque des autres. » (p. 126), le clown rejoindrait presque le rire universel baudelairien (catholique, en somme) qui consiste à rire de sa propre chute. Il s’agit là d’un « sérieux métaphysique » :

 

« Le [comique] dispose d’un savoir-faire, le [bouffon], d’une tête à payer. Or le clown, s’il fait rire, c’est sans astuce et presque toujours à ses dépens. Et, s’il a une certaine disposition vis-à-vis d’autrui, ce n’est pas de la moquerie, mais l’admiration. En vérité, le clown est très sérieux, il prend même tout avec un sérieux immense, ne fût-ce que le simple fait de respirer ou d’avoir à faire un pas. » (p. 126)

 

Le chrétien est donc un clown ; il ne « cherche pas à faire drôle, mais il est drôle à ses dépens. » (p. 128) Loin de faire de la figure du clown le sommet de l'absurdité, Hadjadj rejoint l'humanisme intégral de Maritain en reconnaissant que « les dogmes de la foi ne sont pas absurdes, ils sont super-rationnels » (p. 129)

 

Tradition acosmique ; tradition thomiste

 

Hélas, il est à craindre qu’on n’entendra jamais Hadjadj en dehors de la sphère « catho ». Le « pont » n’est pas fait ; il ne sera pas fait tant qu’un philosophe n’aura pas cherché à casser le mur entre la méta- et la physique. Tant que le liant ne sera pas fait, les livres d’Hadjadj seront réduits au rayon « spiritualité », « religiosité », « sagesse », comme autant d’aliments du rayon surgelé.

 

J’affirme donc ma peine de voir ce constat, emblématique de la tradition philosophique française, essentiellement littéraire.

 

Voici la grande différence, abyssale, avec Tresmontant. Si Tresmontant a écrit Comment se pose aujourd’hui le PROBLEME de l’existence de Dieu, Hadjadj écrit Comment PARLER de Dieu aujourd’hui ?, comme si le « problème » était évident, comme si on avait répondu le plus sereinement du monde aux cris d’un Michel Onfray. Eh bien non !

 

Tant qu’on n’aura pas répondu à cette question, quitte à passer pour un illuminé ou un prétentieux (c’est le prix à payer), on se condamne à faire de l’élitisme malgré soi. Hadjadj reste dans le verbe et il le fait très bien. Tresmontant, lui, remarque des faits qui, précisément, réduisent l’athéisme ou l’agnosticisme à du pur verbalisme et rien d’autre.

 

Nous sommes bien obligés de le constater : Hadjadj ne sort pas de la critique de l'athéisme avec les outils du discours et de l’esthétisme. C'est fort bien lumineux comme déconstruction, mais un tel projet se condamne à l'étiquette "religiosité" ou "spiritualité", cet autre nom pour désigner la "religion du privé", bien confortable ; une sorte de friandise esthético-mystique. Hadjadj a conscience de cet échec :

 

« Si mon interlocuteur ne croit pas plus ou moins à la béatitude, mes sermons les plus persuasifs ne l'atteindront pas, ou mal, mes propos paraîtront tissus de dogmes fantaisistes et de normes arbitraires, il croira que je cherche à l'embrigader, alors que je ne veux que préserver le mystère de son visage. J'aurais beau l'inviter dans l'arche, il s'imaginera que je cherche à le mettre en prison. »

 

Devant le constat amer, que propose-t-il à part être un clown ?

 

« Voilà pourquoi plus que jamais, alors qu'au point de vue temporel, la quête du bonheur semble révolue, il faut prêcher l'espérance avant de faire de la morale, annoncer le salut avant de dénoncer le salaud. » (p. 196)

 

... voilà les conséquences d'une philosophie "littéraire". « Prêcher l'espérance », oui, mais il faut répondre aux exigence de notre temps, ce qui serait aussi une marque d'amour (peser ce qui est voulu) : il faut mettre la main à la pâte (à la glaise, écrirait-il) et il préfère le balbutiement des mots. 


Ses pages respirent d'un amour vivant, mais tant qu'il ne sortira pas de sa grille de lecture post-idéaliste, il est condamné à faire du touche-logos avec Onfray. Si l'Eglise, au XVIe siècle, parlait métaphysique par le biais de l'art comme il l’écrit avec brio dans ses autres essais, c'était parce que l'époque le demandait encore. Aujourd'hui, on peut s'en désoler mais c'est ainsi : le monde réclame du sens avec les outils du méta-, sans doute, mais surtout de la physique. Il est donc un devoir d'y répondre et sur ce point, Hadjadj botte en touche.

 

Il faut ajouter à cette reddition silencieuse du philosophe une vraie reconnaissance d’échec du chrétien ; en cela, l’essai est émouvant. Tresmontant pourrait répondre qu’un essai de philosophie ne se réduit pas à un constat d'échec, surtout devant un problème aussi urgent ; répondre aux exigences de notre temps à la manière de Tresmontant, avec la plus « sainte des simplicités » se révèle une parole que l’on écrit partout mais que l’on ne vit nulle part : un amour en acte, un amour vivifiant.

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16 septembre 2012 7 16 /09 /septembre /2012 18:13

L'homme qui s'interroge sur le sens de sa vie - qui se pose les grandes questions de la Sagesse humaine -, qui recherche la vérité ultime de son existence, doit s'efforcer de penser correctement s'il veut avoir quelque espoir de trouver réponse à ses interrogations.

 

Qu'est-ce que penser correctement? Nous l'avons vu : c'est penser à partir du réel objectif extérieur à soi-même, et non à partir de sa propre subjectivité, de ses propres conceptions. [1]

 

Si nous avions l'intelligence innée de tout le réel, cela se saurait : nous n'aurions pas besoin d'aller à l'école, de recevoir de nos maîtres un quelconque enseignement. Nous aurions tout en nous-mêmes pour connaître la vérité sur toute chose - il suffirait de s'enfermer en soi-même et de réfléchir.

 

Le chemin qui conduit l'homme à la connaissance - et à la vérité -, l'unique chemin, c'est la réalité objective qui m'environne, dans laquelle je m'inscris, qui existait avant moi et qui perdurera après moi. C'est elle que je dois explorer et apprendre à découvrir ; c'est en elle que je dois chercher les réponses à mes questions existentielles ; c'est sur elle que je dois fonder mes théories - pour qu'elles aient quelque chance d'être vraies.

 

Le réel objectif : l'unique maître du chercheur de vérité - le seul auquel il doit se soumettre. Le laboratoire du philosophe.

 

Ce réel objectif, quel est-il?

 

C'est bien sûr tout ce qui m'entoure : ma famille, mes amis, ma maison, mon jardin, mon quartier, ma ville, mon pays, la planète où je vis, le système solaire où elle se situe, la galaxie dont il fait partie, l'univers entier.

 

Et c'est aussi ce que je perçois le plus immédiatement : moi-même. Mon corps, mes sentiments, ma pensée. 

 

La première chose qui nous frappe lorsque l'on considère la réalité objective (l'univers, et soi-même) : c'est que nous la rencontrons sans trop savoir au fond ce qu'elle est. Elle est comme une étrangère pour nous. Si familière - nous en faisons l'expérience quotidienne - et pourtant si méconnue : nous ignorons fondamentalement ce qu'elle est.

 

Et pour cause : nous ne l'avons pas inventée - nous la recevons comme un don.

 

Nous naissons dans un univers qui nous pré-existait - dont nous ne sommes pas les auteurs, et qui s'impose à nous comme un fait, un donné.

 

Et ce que nous sommes nous-mêmes, nous ne l'avons pas décidé - nous le "subissons" en quelques sortes, nous le recevons. Comme un cadeau fait à un enfant, que celui-ci tourne et retourne avec étonnement.

 

"Notre existence, notre nature, notre propre corps, et notre âme, sont pour nous une surprise et un sujet inépuisable d'étonnement. Les biologistes font l'analyse de la structure de notre organisme, et nous n'en sommes encore qu'à la première découverte de ce mystère qu'est pour nous notre propre organisme. Et notre âme, notre psychologie, nos tendances, sont pour nous tout aussi mystérieuses. Il faudra le long travail de la science pour nous découvrir à nous-mêmes qui nous sommes. Notre existence, le battement de notre coeur, le chimisme de notre respiration et cette bouchée que nous avalons et qui se transforme en nous-mêmes sans nous, notre pensée elle-même qui sourd comme une fontaine et dont la source est inconnue, tout cela est pour nous mystère. Nous sommes à nous-mêmes mystère (...).

 

"Tout est donné en nous : l'être, la vie, le battement de notre coeur, et même cette pensée que je pense et qui me vient d'un lieu que je ne connais pas, d'une profondeur que je n'ai pas sondée. Tout ce pouvoir qui est en moi, ce mouvement, cette force, cette puissance d'agir et de concevoir, ce n'est pas moi qui les ai mises en moi. Je suis né, et j'ai reçu. La vie, la pensée, comme le mouvement et l'agir, sont pour l'homme reçus." [2]

 

La question qui vient spontanément à l'esprit, dans cette contemplation de mon être et de l'univers, est naturellement celle de la source de ce don que je suis pour moi-même et de cet univers au sein duquel je suis né. 

 


[1] Cf. notre article-sommaire du 29 juillet 2012, De la bonne méthode de raisonnement en philosophie.

[2] Claude Tresmontant, in Essai sur la Connaissance de Dieu, Cerf 1959, p. 27 à 29

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15 septembre 2012 6 15 /09 /septembre /2012 10:41

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9 septembre 2012 7 09 /09 /septembre /2012 00:00

Cet été, certains d'entre vous nous ont demandé conseil sur les ouvrages de Claude Tresmontant à lire en priorité pour découvrir l'auteur et son oeuvre.

 

Je vous propose ici une liste de ce qui me paraît le plus essentiel - sachant qu'à la différence de Jérémy Marie [1], je n'ai pas lu (encore) tous les livres de notre cher Maître. Cette liste est donc nécessairement imparfaite. 

 

Un bon petit livre pour survoler les principales thèses du Professeur et se familiariser avec son style si particulier (vivant, plein d'esprit, un brin polémique) : L'histoire de l'univers et le sens de la création. Pour une mise en bouche, disons.

 

Pour entrer de plain-pied dans la pensée de Claude Tresmontant, 5 ouvrages me semblent vraiment incontournables :

 

1- Comment se pose aujourd'hui le problème de l'existence de Dieu : LE best-seller! Un des plus faciles à obtenir - en vente dans toutes les bonnes librairies - à un prix très abordable. Impossible de quitter cette terre sans l'avoir lu!

 

2- Le problème de la Révélation : suite du précédent. Un des plus fondamentaux à mon avis, dans lequel Tresmontant soutient l'une de ses thèses métaphysiques les plus originales, sur une question malheureusement oubliée du dernier catéchisme de l'Eglise Catholique - à savoir que : de même qu'il existe des preuves de l'existence de Dieu que la raison humaine peut établir à partir de la considération de l'univers, de même il existe des preuves de l'authenticité de la Révélation divine que la raison humaine peut établir à partir de la considération des phénomènes objectifs que sont : Israël, Jésus-Christ et l'Eglise catholique. Pour une meilleure connaissance de ce qu'est la foi, en rapport avec la raison.

 

3- Les métaphysiques principales : une "Métaphysique pour les nuls" où l'auteur nous donne les clefs de compréhension des grands courants de pensée qui traversent l'humanité - qu'il réduit à trois seulement, en dépit de la multiplicité des auteurs. Essentiel pour qui veut s'initier à la philosophie et en acquérir les bases de manière agréable (la plume de Claude Tresmontant est légère et accessible au plus grand nombre, même si bien entendu sa lecture reste plus exigente que celle d'un roman policier! )

 

4- Les problèmes de l'athéisme : impossible de rester athée après avoir lu un livre comme celui-là! Un vaccin redoutable contre le scepticisme et le doute. Tous les arguments de l'athéisme sont passés en revue et réfutés un à un. Un chef d'oeuvre méconnu, malheureusement épuisé mais que l'on trouve encore aisément sur internet à un prix très abordable.

 

5- Essai sur la Connaissance de Dieu : une réponse à la philosophie d'Emmanuel Kant et aux dogmes sacrés de la philosophie moderne. Sans doute mon préféré - mais aussi le plus difficile à obtenir (très rare et relativement cher - il faut bien chercher et être patient).

 

Pour ceux qui voudraient aller plus loin, j'en proposerais 5 supplémentaires :

1- Sciences de l'univers et problèmes métaphysiques

2- Etudes de métaphysique biblique

3- La doctrine morale des prophètes d'Israël

4- Introduction à la pensée de Teilhard de Chardin

5- Essai sur la Pensée Hébraïque

 

Deux autres enfin que je n'ai pas lus sont souvent fortement recommandés par leurs lecteurs : Problèmes de notre temps (recueil des chroniques publiées par Claude Tresmontant dans le journal La Voix du Nord) et la mystique chrétienne et l'avenir de l'homme.

 

Et vous? Que dites-vous? Pour vous, quels sont les meilleurs ouvrages de Claude Tresmontant - ceux qui vous ont marqués, et que vous souhaiteriez faire partager? N'hésitez pas à poster en commentaire votre short list, ou à nous faire parvenir votre témoignage sur tel ou tel livre, sur l'auteur et ce qu'il vous a apporté. Nos colonnes vous sont grandes ouvertes!

 

Lire aussi les conseils de lecture de Jérémy Marie

 


[1] qui a entrepris pour ce blog une présentation exhaustive de l'importante bibliographie de Claude Tresmontant (en cours de rédaction).

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18 août 2012 6 18 /08 /août /2012 11:22

L'Express - 1er août 2012Après les deux derniers dossiers du Point consacrés à l'existence de Dieu, c'est au tour de L'Express de s'interroger sur les "10 raisons de croire", dans son édition du 1er août 2012. Un numéro nettement plus intéressant que ceux de son concurrent - que l'on doit pour l'essentiel à l'érudition du journaliste Philippe Chevallier. "L'homme n'est pas un animal religieux, il est un animal intelligent qui se pose des questions intelligentes. Et parmi ces questions intelligentes, il y a celle de Dieu".

 

Le dossier commence mal pourtant, avec les quelques lignes d'introduction de Christian Makarian qui sort de son chapeau trois citations de Pascal, qui laissent augurer le pire pour la suite du reportage. La 1ère : "Douter de Dieu, c'est y croire". La 2e : "La vraie morale se moque de la morale". La 3e : "Le vrai se conclut souvent du faux". Les deux premières propositions pourraient se justifier, à condition d'être longuement expliquées – afin d'éviter tout malentendu. Mais elles sont livrées là, "brutes de décoffrage", au lecteur qui doit se débrouiller avec... On le devine : ce sont des journalistes athées qui vont nous exposer les raisons de croire...

 

Dans son article d'ouverture, Philippe Chevallier présente loyalement le problème : "Qu'on se le dise avant de discuter des bonnes ou mauvaises raisons de croire : l'existence de Dieu, c'est-à-dire d'un être éternel à l'origine du monde, n'a jamais été une évidence." C'est ce qu'écrit aussi Roger Verneaux dans son Introduction générale à la philosophie : "Les causes premières ne sont pas évidentes. En particulier, Dieu ne l'est pas, ni quant à son existence, ni quant à sa nature ; de sorte que, avant de le contempler, POUR arriver à le contempler, des RAISONNEMENTS sont nécessaires".

 

"Penser l'existence de Dieu est une affaire sérieuse, dans la mesure où l'on peut aussi penser son absence." J'aime beaucoup cette phrase - et ce qu'elle implique. Cela dit, Tresmontant a très bien montré que l'on ne peut pas penser l'absence de Dieu (pas plus qu'on ne peut penser le néant), et que penser COMME SI Dieu n'existait pas, ce n'est pas, à proprement parler, "penser l'absence de Dieu".

 

Chevallier cite aussi Pyrrhon : "Les doctrines se contredisent, il faut donc suspendre son jugement". C'est une pensée très répandue chez nos contemporains – j'ai pu le vérifier sur le blog Totus Tuus. Mais la réponse est : Non. Il faut les examiner chacune, et évaluer leur rationalité (selon la définition qu'en donne Tresmontant). On verra alors que toutes les doctrines ne se valent pas – et qu'un certain nombre peuvent être aisément écartées.

 

On entre ensuite de plain-pied dans l'exposition des 10 raisons de croire.

 

1ère raison de croire : "Parce qu'à l'horloge il faut un horloger".  C'est certainement l'argument le plus fort – celui auquel Tresmontant consacra toute son oeuvre. L'univers existe, il est structuré mathématiquement, intelligemment ; son ordre est admirable, en même temps que sa complexité qui dépasse les possibilités de l'humain (il n'y a qu'à observer la structure de notre propre cerveau...). Il n'est pas raisonnable de penser que le néant puisse produire de l'être, ni le hasard de l'organisation complexe et géniale de manière systématique. "Il m'est arrivé de dire, et c'est vrai, que c'est la seule des trois "preuves" classiques qui me paraisse forte, la seule qui, parfois, me fasse vaciller. Pourquoi? Parce que la contingence est un abîme"... (André Comte Sponville)

 

2e raison de croire : "Parce qu'une particule porte son nom".  Le fameux boson de Higgs. C'est une raison dérivée de la 1ère : le boson de Higgs accrédite la théorie du Big Bang et l'idée selon laquelle tout ce qui existe dans l'univers a commencé d'être – est né, et a donc un âge. Rien de ce qui est, dans l'Univers, n'est éternel. Pas même les atomes – comme on l'a longtemps cru. L'Univers lui-même ne l'est pas. Et sa naissance reste un grand mystère...

 

Chevallier cite ensuite le chanoine Lemaître, qui aurait dit au Pape Pie XII au sujet de sa découverte du Big Bang :  "J'ai dit commencement, je n'ai pas dit création. Personnellement, j'estime que [la théorie du Big Bang] reste entièrement en dehors de toute question métaphysique ou religieuse". Ce propos montre assez bien que, si Lemaître était sans aucun doute un scientifique de tout premier rang, il était un bien piètre philosophe... Aucune théorie scientifique ne se trouve "en dehors" des questions métaphysiques, puisque par nature, la métaphysique porte sur la réalité physique telle que nous la présentent les sciences positives. Par ailleurs : la notion de "commencement" implique nécessairement l'idée de "création". Car tout ce qui commence d'être et qui ne préexistait pas est une création. Une chose qui commence d'être ne peut être incréée. C'est aussi simple que cela.

 

3e raison de croire : "Sinon tout est permis".  Si Dieu n'existe pas, il n'existe pas de Juge devant qui rendre compte de nos actes. Il n'est pas juste cependant de dire que sans Dieu, "tout est permis" – car il existe un ordre naturel que tout homme peut découvrir par sa raison. Pas besoin d'être croyant pour savoir qu'il est des actes qui nous détruisent – d'autres qui nous édifient. Cela est affaire d'expérience – et de vérité objective. La nécessité d'une loi morale pour grandir en humanité n'est donc pas une preuve de l'existence de Dieu – mais elle ouvre la question de l'origine fondamentale de cette mystérieuse nature existante et de son ordre immanent.

 

4e raison de croire : "Parce que le Diable existe".  Paradoxalement, le mystère du mal peut nous conduire à Dieu – car la souffrance, en un sens, nous révèle que nous ne sommes pas faits pour cette existence périssable ; que nous aspirons, au plus profond de notre être, à la vie et au bonheur sans fin. Nous "montons" vers Dieu comme le nageur qui, au fond de l'eau, "monte" vers l'oxygène pour ne pas périr noyé. Spontanément, lorsque nous sommes au fond de la souffrance, de la peur, de l'angoisse, nous prions... – comme une poussée d'Archimède spirituelle qui fait jaillir de notre âme un cri vers le ciel lorsque nous sommes plongés dans la détresse.

 

5e raison de croire : "Chaque fois que j'écoute Bach".  Il est amusant ici de relever que Claude Tresmontant compare souvent la création de l'univers à une symphonie de Bach en train d'être composée... Oui, l'expérience de la Beauté nous fait éprouver une réalité qui n'est pas de ce monde, et qui n'est pas réductible à la matière.

 

J'aime beaucoup la citation de Karl Barth :  "Je ne suis pas sûr que les anges, quand ils cherchent à glorifier Dieu, jouent de la musique de Bach. Je suis certain, en revanche, que lorsqu'ils sont entre eux, ils jouent du Mozart."  

 

6e raison de croire : "Parce que Dieu me l'a dit".  C'est le mystère de la rencontre avec Dieu, que beaucoup expérimentent. Ce sont des expériences personnelles, éminemment subjectives, et difficilement vérifiables – quoiqu'on en voit les effets quand elles transforment des vies de manière spectaculaire. Mais l'accumulation de ces expériences, elle, est un fait objectif qui pose question.

 

7e raison de croire : "Parce que nous pensons à lui".  C'est l'argument ontologique de St Anselme qui ne prouve rien, sinon les capacités de l'esprit humain à penser des réalités qui transcendent la réalité matérielle. En fait, St Anselme a surtout démontré la nature spirituelle de notre âme – ce qui est déjà bien. Mais que nous pensions à Dieu ne le fait pas nécessairement exister – pas plus que d'imaginer le PSG champion ne fait de lui le futur champion! 

 

8e raison : "Parce que je tiens à garder mes jours fériés".  C'est en effet un argument essentiel! Tous les gens deviennent étrangement pratiquants quand il s'agit de prendre leurs congés...

 

9e raison : "Parce que les livres de Michel Onfray sont vraiment trop mauvais". Un des passages les plus savoureux de ce dossier de l'Express... Le plus décisif à mon avis. 

 

10e raison : "Parce que c'est absurde". La citation que l'on prête à Tertullien est heureusement corrigée par Philippe Chevallier. Il est plus rationnel de croire (quoique cela soit mystérieux) qu'un Être éternel, intelligent et tout puissant a créé notre univers, que de penser que l'univers ait pu se faire tout seul, comme un grand, de rien jusqu'à nous et notre prodigieux cerveau. Bach et Einstein seraient le fruit conjugué du néant et du hasard aveugle? Absurde! - c'est de l'ordre du conte de fée (un conte de fée qui attribue à la nature des propriétés magiques...). Nous avons donc à choisir entre le mystère (d'une création par un Être transcendant) et l'absurde (d'une auto-création de l'univers). Le croyant croit, non parce que c'est absurde, mais parce que l'absurdité de l'absurde le conduit au mystère.

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2 août 2012 4 02 /08 /août /2012 00:00

Correspondance philosophique Blondel LaberthonnièreJuste après la parution de sa thèse, Tresmontant décide de sortir de l’oubli deux grandes figures de la pensée chrétienne du début du XXe siècle, Maurice Blondel et Lucien Laberthonnière, en publiant leur riche correspondance, ce qui est une occasion de souligner la modernité de la philosophie chrétienne, de plus en plus consciente de son unité.

 

Si l’on connaît un peu mieux aujourd’hui Maurice Blondel, sans doute l’un des plus grands métaphysiciens que la philosophie ait comptés, on peine encore à reconnaître en Laberthonnière un véritable philosophe. Pourtant, le 15 janvier 1922, Maurice Blondel écrivait au cardinal Mercier au sujet de son ami : « L’œuvre du P. Laberthonnière sera connue tôt ou tard dans son intégralité : cette œuvre, je crois pouvoir l’attester en connaissance de cause, apparaîtra plus grande, plus forte, plus foncièrement philosophique et chrétienne que celle d’un Malebranche ou d’un Newman. » (p. 322)

 

L’exigence de Laberthonnière qui traverse tout son travail pourrait se résumer en une phrase : « L’idée prédominante qui m’a guidé en étudiant la philosophie, ç’a été de reconnaître la rationalité du christianisme. » (Cahier de jeunesse, nov. 1882)

 

La méthode d’immanence

 

A l’époque, on a souvent reproché à Blondel de faire de la théologie surnaturelle ; la méthode de Blondel est proprement philosophique, précisément parce qu'il ne fait pas appel à la Révélation. (p. 27)

 

En réalité, il s’agit d’un malentendu autour de sa célèbre « méthode d’immanence » que l’on a confondue avec une doctrine de l'immanence, laquelle stipule que l’être créé, l’homme, serait par nature consubstantiel à la divinité. Blondel n’a jamais écrit ou pensé cela.

 

En revanche, avec sa méthode d’immanence, « le philosophe d’Aix » s’est attaché à décrypter et révéler les modalités de l’appel à la vie surnaturelle, d’où le problème fondamental de l’Action, selon le titre de sa thèse de doctorat dès 1893.

 

D’ailleurs, Tresmontant rappelle que « Toute leur vie, Blondel et Laberthonnière ont lutté contre une philosophie qui substituerait à l'action elle-mêmel'idée de l'action. » (p. 57)

 

« Ce n'est pas sur un plan seulement noétique que la chose se résout et s'opère. C'est dans tout notre être, notre pensée, notre vouloir, notre agir. » (p. 57)

 

Par une analyse ontologique intégrale, Blondel manifeste comment la réalité tout entière est pré-adaptée à une fin surnaturelle et c’est pourquoi le père Laberthonnière est enthousiasmé en définissant la méthode de Blondel comme une « introduction à une théologie vivante » (p. 91) qui permet de corroborer l’effectivité du surnaturel grâce aux mystiques chrétiens, témoins, par leur expérience, de la réalité du spirituel. « Les philosophes chrétiens indépendants, vraiment libres, ne sont-ce pas les mystiques ? »(Laberthonnière, p. 83)

 

« Le surnaturel ne sort pas des exigences de la nature, il est bien offert de l'extérieur par Dieu. Mais lorsque Dieu se révèle à l'homme, il ne se contente pas de cette présentation extérieure : il excite encore de l'intérieur son appétit. » (p. 37)

 

Deux approches : une ontologie génétique (Blondel) et une philosophie dogmatique (Laberthonnière)

 

Blondel était aussi présenté comme un néo-kantien ; à ce sujet, Blondel est formel : « Je ne suis ni « néo-kantien », ni « subjectiviste », ni « fidéiste », ni « phénoméniste », comme on le prétend. »

 

Quant à Laberthonnière, son dogmatisme moral s’exprime dans une conquête de la charité qui mobilise tout l’être : « Nous ne pouvons être vraiment philosophes que religieusement, c'est-à-dire en reconnaissant que nous n'avons rien que nous ne recevions. » (p. 366)

 

On comprend ainsi que les deux philosophes s’interrogent sérieusement sur la logique du don dans l’œuvre de Dieu.

 

Au cours de leur recherche, ils s’accordent pour ne pas ajouter quoi que ce soit à la doctrine chrétienne mais bien plutôt à suivre les mystiques, en se libérant de toute auto-sacralisation, ce qui suppose un véritable dépouillement du vieil homme. 

 

« Problème capital de la métaphysique chrétienne »selon Blondel, la charité mérite une étude scrupuleuse ; il s’agit d’une con-descendance gratuite et miraculeuse de Dieu : un don surnaturel.

 

L’amitié entre les deux hommes va s’effriter lorsqu’il s’agira de s’entendre sur les conditions de la divinisation. Ils s’entendent au moins pour considérer que « De même que Dieu ne peut s'incarner et se manifester à l'homme que par cette kénôse, l'homme ne peut parvenir au terme de sa destinée surnaturelle qu'en se dépouillant du « vieil homme », pour devenir « créature nouvelle » et naître de nouveau. » (p. 367). Blondel reprend un terme de physiologie, l'intussusception, pour signifier l'acte par lequel les matières nutritives sont introduites dans l'intérieur des corps organisés, pour y être absorbés ; toutefois, cette absorption n'est pas un anéantissement de la personne tel que voulaient le vivre certains mystiques (Eckhart, Porete) : « Au sens biologique (et plus encore au sens spirituel), assimiler, c'est absorber sans détruire, transformer sans confondre les substances dont l'une est élevée et employée en entrant dans l'organisme et en participant effectivement à une vie supérieure» (La Pensée, tome I, 1934, p. 39) L’union de l’homme et de Dieu ne se limite pas du tout à une simple amitié de consentement et son reproche est implacable : « Vous laissez l'homme et Dieu en présence comme deux contractants qui font alliance au pair, alors que pour moi il s'agit d'une intussusception réciproque, ut unum sint. » (Blondel, p. 349)

 

En dépit de ces querelles techniques, Laberthonnière et Blondel ont apporté un accomplissement dans la pensée chrétienne en reconnaissant une génétique dans le processus créateur et divinisateur, union théandrique célébrée dans le Cantique des Cantiques, livre central de l’Ecriture.

 

Introduction (p. 7)

 Chapitre premier : La naissance d'une amitié philosophique (p. 65)

 Chapitre II : autour de la crise moderniste (p. 147)

 Chapitre III : Malebranche (p. 223)

 Chapitre IV : La métaphysique de la charité et le problème capital de la métaphysique chrétienne (p. 237)

 Epilogue (p. 359)

 Index des noms propres (p. 385)

 

Citations :

 

« La véritable philosophie est la sainteté de la raison. » (Blondel) + « La charité est l'organe de la parfaite connaissance. » (p. 14)

 

« Il y a plus de connaissance et plus d'intelligence dans la pratique vécue et littérale que dans l'idéalisme gnostique. » (p. 30)

 

« L'Eglise est une démocratie divine. Mais pour être une démocratie elle n'est pas une anarchie (protestantisme), elle est une démocratie organisée ; elle suppose une hiérarchie : ce qui ne veut pas dire des maîtres et des esclaves dans l'ordre spirituel. C'est la même vie qui circule de bas en haut et de haut en bas. » (p. 184, Laberthonnière.)

 

« Il s'agit d'une union plus et vraiment vitale qui fait de l'homme comme un organe, comme un membre du Christ et, par Lui, de l'ordre universel destiné à être incorporé à la divinité même. » (p. 243, Blondel) 

 

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  • : Blog consacré à l'un des plus grands métaphysiciens catholiques du XXe siècle, qui démontra le caractère irrationnel de l'athéisme.
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