Blog consacré à l'un des plus grands métaphysiciens catholiques du XXe siècle, qui démontra le caractère irrationnel de l'athéisme.
Retour sur l'intense disputatio avec Loïc, en commentaire de l'article "Ceux qui disent que le problème ne se pose pas". Compte tenu de la richesse de cet échange, et parce qu'il nous permet d'entrer dans le fond de la pensée de Claude Tresmontant, nous le reproduisons ici en une série d'articles qui nous permettra d'isoler les thématiques et de les approfondir au besoin.
Commentaire n°1
"Bonjour et tout d'abord bravo pour ce blog, qui redonne avec brio toute son actualité à l'oeuvre de Claude Tresmontant.
J'en viens au sujet de cette note. Que la question métaphysique du pourquoi de l'Etre se pose et que chacun y apporte une réponse à l'aune de ses propres préjugés, je n'en disconviens pas. Mais poser comme vous le faites, à l'instar de Tresmontant, que le préjugé chrétien consistant à récuser l'univers comme Etre ontologiquement suffisant est le seul "rationnel" me paraît relever d'une arrogance plutôt saisissante. C'est évacuer l'objection connue à cette idée toute scholastique de cause première : si l'on postule que tout a une cause, alors Dieu, convoqué comme cause de l'univers, doit en avoir une lui aussi ; et si l'on admet qu'il peut exister quelque chose sans cause, alors il est plus simple rationnellement (rasoir d'Occam) de s'en tenir à l'univers lui-même. Vous direz peut-être, avec Tresmontant, qu'on sait désormais que l'univers a eu un commencement. Mais cela n'altère rien la pertinence de l'objection : rien, scientifiquement, n'interdit de penser l'univers comme une grande respiration, alternant expansion et contraction, avec passage par un point d'origine éternel. Ou bien l'univers peut n'être qu'une vague d'existence parmi des milliers d'autres dans un océan originel incréé. Ou encore l'univers est bien le fruit de quelque démiurge, mais ce dernier est mort avec sa création... Ou encore, il existe bien un Dieu au sens monothéiste, mais il est foncièrement mauvais et l'univers qu'il a créé avec lui... De nombreuses choses sont imaginables et, n'en déplaise à Tresmontant, rationnellement tenables. Quant à moi, je me plais à concevoir l'univers telle la rose d'Angelus Silesius : sans pourquoi."
Réponse :
Bonjour Loïc, et merci pour vos encouragements qui nous font chaud au coeur!
"Que la question métaphysique du pourquoi de l'Être se pose et que chacun y apporte une réponse à l'aune de ses propres préjugés, je n'en disconvient pas." Je précise toutefois qu'avoir un préjugé au départ n'empêche pas d'avoir un raisonnement sain par la suite, pourvu que l'on ait conscience de ce préjugé et que l'on soit capable de s'en distancier - et de le soumettre à la critique. Le raisonnement métaphysique qui démontre l'existence de Dieu n'obéit à aucun préjugé - même s'il est, de fait, mené par des métaphysiciens qui peuvent en avoir (mais ils prennent soin alors de le suspendre, le temps du raisonnement).
"Mais poser comme vous le faites, à l'instar de Tresmontant, que le préjugé chrétien consistant à récuser l'univers comme Être ontologiquement suffisant est le seul "rationnel" me paraît relever d'une arrogance plutôt saisissante." Je conçois que vous puissiez avoir cette impression. Pourtant, ce n'est pas en vertu d'un préjugé que nous affirmons la vérité du christianisme ; c'est au terme d'une analyse rationnelle, argumentée et démonstrative, expurgée de tout préjugé.
Ce que la raison nous démontre, c'est :
1°) l'existence de Dieu, entendu comme un Être incréé, unique, transcendant, créateur, vivant, conscient, personnel, intelligent et libre : bref, le Dieu du monothéisme ;
2°) la réalité du fait de la Révélation de cet Être incréé au peuple hébreu (c'est la deuxième grande partie de la thèse de Claude Tresmontant) : bref, le Dieu d'Israël ;
3°) la divinité de la personne de Jésus-Christ et de son Eglise fondée sur l'Apôtre Pierre : bref, le Dieu du christianisme catholique.
Cf. "Comment savoir si Dieu existe et quelle est la "vraie" religion?" - blog Totus Tuus.
"C'est évacuer l'objection connue à cette idée toute scholastique de cause première : si l'on postule que tout a une cause, alors Dieu, convoqué comme cause de l'univers, doit en avoir une lui aussi." Je sais que c'est là le dernier argument de l'athéisme - martelé par Dawkins à toutes les pages de son livre "Pour en finir avec Dieu". Mais c'est un argument absurde - car il n'est pas celui du théisme. L'athéisme étant incapable de réfuter l'existence de Dieu en discutant les arguments du théisme, il s'en va chercher un argument de... Jean-Paul Sartre (!) - qu'il n'a aucun mal à contredire (et pour cause...) - pour se donner l'illusion d'une victoire contre le théisme. Comme on dit en langage moderne : LOL
Personne n'a jamais dit que "tout", absolument "tout" a une cause. Ce que le théisme affirme - avec les philosophes de l'école réaliste - c'est que tout ce qui existe en ce monde a une cause. Dès lors se pose la question de savoir si notre Univers peut être l'Être incréé que notre intelligence discerne.
L'évidence première, ce n'est pas que "tout", absolument "tout" a une cause. L'évidence première, c'est qu'il existe un Être incréé. Nécessairement. Car l'être ne peut provenir du néant. Il faut donc postuler - c'est une exigence rationnelle incontournable - qu'il existe nécessairement un Être éternel, qui n'a pas eu besoin de commencer d'exister pour être ; qui est de toute éternité ; un Être incréé, donc ; un Être sans cause.
Si tout dans l'Univers a une cause - ce que tout un chacun observe ; si l'Univers lui-même a une cause - ce que son commencement, il y a 13,7 milliards d'années, suggère : il ne peut pas être incréé. Puisqu'il ne peut pas venir du néant, c'est qu'il vient nécessairement de l'Être incréé et sans cause que notre intelligence perçoit comme une évidence première - et dont elle peut affirmer désormais qu'il est "Créateur".
Cf. "Et Dieu? Qui l'a créé?" - blog Totus Tuus
"Si l'on admet qu'il peut exister quelque chose sans cause, alors il est plus simple rationnellement (rasoir d'Occam) de s'en tenir à l'univers lui-même". Si nous nous en tenions là, nous aboutirions à un être auto-créateur, se donnant progressivement PLUS qu'il n'avait au départ. Ce serait un être extrêmement puissant (puisque capable de faire surgir du néant une multitude d'êtres nouveaux, qui ne préexistaient pas), intelligent (car le cosmos est régi par un ordre admirable, mathématique) et vivant (puisque capable de donner la vie aux plantes, aux animaux et aux hommes). Bref, on aboutirait à un résultat vraiment "bizarre" : une espèce d'Animal Divin doté de pouvoirs extraordinaires, magiques et occultes (puisqu'invisibles aux yeux du savant et inaccessibles à nos instruments de calcul et de mesure). On aurait certes réglé son compte au Dieu du théisme, mais on se retrouverait avec, sur les bras, une Nature pourvue de tous les attributs que les théologiens reconnaissent à Dieu (l'éternité, l'infinité, l'aséité, la puissance créatrice, l'intelligence souveraine...), l'auto-génération et l'auto-évolution en sus! Il me paraît plus simple et plus rationnel - moins "bizarre" en tous les cas, et plus respectueux de l'observation des sciences - de considérer que l'Univers n'est pas divin, et qu'il provient d'un autre Être qui lui, est l'Être incréé que l'intelligence humaine connaît - celui que nous nommons communément Dieu... mais que nous pouvons choisir d'appeler autrement si le mot nous gène (peu importe).
"Rien, scientifiquement, n'interdit de penser l'univers comme une grande respiration, alternant expansion et contraction" : Ben si. Aucun mouvement de "contraction" n'a jamais été observé dans l'univers. "Ou bien l'univers peut n'être qu'une vague d'existence parmi des milliers d'autres dans un océan originel incréé". Mais ce n'est pas parce que notre univers serait un parmi des milliers d'autres qu'il serait nécessairement incréé... "Ou encore l'univers est bien le fruit de quelque démiurge, mais ce dernier est mort avec sa création. Ou encore, il existe bien un Dieu au sens monothéiste, mais il est foncièrement mauvais et l'univers qu'il a créé avec lui." Mais si une analyse scientifique - basée sur les faits - conduit le philosophe à penser que Dieu s'est révélé à Israël, on pourra alors se mettre à étudier le contenu de cette révélation. Et l'on découvrira que ces deux dernières propositions sont fausses, du point de vue de cette révélation. Rien scientifiquement ne permet en tout cas de les considérer comme possiblement vraies - s'agissant là de pures spéculations ne reposant sur aucune donnée objective. "Nous ne savons ce qui est rationnel et ce qui est irrationnel qu'à partir de l'expérience, et non pas a priori, ou avant toute expérience." (Claude Tresmontant)
"De nombreuses choses sont imaginables et, n'en déplaise à Tresmontant, rationnellement tenables." Imaginables, oui. Rationnellement tenables, non. Il ne suffit pas d'affirmer. Il faut démontrer.