Blog consacré à l'un des plus grands métaphysiciens catholiques du XXe siècle, qui démontra le caractère irrationnel de l'athéisme.
Deuxième ouvrage de Claude Tresmontant qui a obtenu l’Imprimatur, Etudes de métaphysique biblique (1955) entend mettre en évidence la cohérence et l’originalité de la métaphysique chrétienne, laquelle mérite autant d’attention que toutes les autres, qu’elles soient de l’Inde, de la Grèce ou d’ailleurs.
"Le premier Essai était surtout descriptif (Essai sur la pensée hébraïque). Dans cette seconde étape le point de vue sera davantage critique." (p. 10)
D’emblée, Tresmontant se refuse à tout concordisme ; il n’est pas question d’appliquer au réel, coûte que coûte, ce qui est écrit dans les Ecritures ; celles-ci n’ont jamais eu d’autre vocation que de proposer un message spirituel ; elles ne sont pas un traité de physique. Sans se limiter à une présentation détaillée – c’était l’objet de son premier essai – Tresmontant compare la métaphysique biblique avec les autres qui lui sont opposées, en prenant soin de suivre ce que les sciences expérimentales nous révèlent du monde de manière certaine.
L’enjeu est exigeant : "La métaphysique biblique est-elle vraie ?"
Pour répondre à cette importante question, Tresmontant effectue un véritable déblaiement. La métaphysique biblique est une philosophie, dans la mesure où elle traite de l’être intégralement mais "n’est pas repliée sur soi, ni suffisante" (p. 11). A-t-elle une spécificité ? Oui, comme les autres métaphysiques… mais elle n’est absolument pas comparable avec aucune d’entre elles ; elle est strictement originale et, surtout, ouverte au réel.
Par exemple, Tresmontant fait très simplement observer que l’idée de création "n'est pas une idée naturelle à la pensée humaine. C'est une idée qui remonte une pente et rencontre, quand elle se présente, une résistance. Elle ne vient pas naturellement à l'esprit des métaphysiciens." (p. 38)
Il rappelle qu’aucune métaphysique de la création n’a été présentée ailleurs que dans le milieu hébraïque ; loin d’être achevée, la création est en train de se faire.
De plus, l’eschatologie est une idée biblique qui traduit un refus du schéma cyclique propre à la plupart des métaphysiques humaines. Le temps est ici VECTORIEL ; pas d’éternel retour, ce qui lui permet d’affirmer : "Les prophètes hébreux ont été les fondateurs et les promoteurs d'une science de l'histoire." (p. 180)
La loi d'entropie :
Tresmontant en profite pour s’arrêter sur le second principe de thermodynamique de Carnot-Clausius qui démontre l’entropie, "la plus métaphysique des lois de la physique" selon Bergson, stipulant que l’univers entier se modifie dans le temps, dans une direction constante.
Chose amusante, par le biais d’Emile Meyerson, chimiste de formation et épistémologue, on constate que cette loi de l’entropie a eu beaucoup de difficulté pour être acceptée dans le milieu scientifique. L’exemple le plus célèbre est celui de Haeckel, le biologiste partisan de la théorie moniste selon laquelle l’Univers est la seule Substance :
"Si cette théorie de l’entropie était exacte, il faudrait qu’à cette fin du monde qu’on admet correspondît aussi un commencement… Ces deux idées, d’après notre conception moniste et rigoureusement logique du processus cosmogénétique éternel, sont aussi inadmissibles l’une que l’autre ; toutes deux sont en contradiction avec la loi de la substance… La seconde proposition de la théorie mécanique de la chaleur contredit la première et doit être sacrifiée." (citation dans Haeckel, Les énigmes de l’Univers, Paris, 1902, cité par E. Meyerson, Identité et réalité, p. 302)
Il faut le relire pour le croire : selon Haeckel, il faut SACRIFIER un fait d’expérience pour préférer nos a priori métaphysiques !
Haeckel va jusqu’à déformer le principe de Carnot en minimisant son champ d’application ; ainsi, à ses yeux, l’entropie ne viserait que des "processus particuliers", alors que "dans le grand Tout du Cosmos, les choses se passent bien autrement." (Ibid.)
Selon Arrenius, si cette loi était exacte, "cette mort calorique devrait déjà s’être établie depuis les temps infinis que le monde existe." (Cité Ibid.)
Or, c’est bien ce qui fait question : est-ce que le monde existe depuis une éternité comme s’accordent à le penser, selon un réflexe éminemment psychologique, la plupart des savants ? La réponse est non puisque, de fait, l’entropie est un phénomène spatio-temporel. La dégradation rejoint ainsi l’évolution, ce qui pousse Tresmontant à écrire : "L'évolution biologique, découverte au siècle dernier, a enseigné à la philosophie ce que signifiait le temps." (p. 91)
L’ouvrage est important. Il révèle qu’en opposition à la cohérence de la métaphysique biblique, spirituelle, il existe une métaphysique psychologique qui continue d’être ignorée et que l’on peut pratiquer comme Monsieur Jourdain faisait de la prose : c’est la gnose. Il s’agit d’un déisme qui enseigne l’existence d’un Dieu impersonnel ; la divinisation de l’univers, lui conférant son éternité, est emblématique de cette préférence psychologique.
La grande conclusion du sondage effectué est éclairante. La métaphysique biblique n’est pas seulement originale, elle est en avance sur son temps. Mieux : rien dans le réel ne contredit ce qu’elle propose. Bien au contraire, les sciences expérimentales ne font que confirmer ce qu’elle dit au sujet du temps, de l’espace, de l’anthropologie, du réel tout entier.
En somme, le lecteur découvre une analyse comparée minutieuse qui préfigure Les métaphysiques principales élaborées selon un crescendo.
Introduction
Chapitre I : La métaphysique biblique et le réel.
Chapitre II : La création du monde
Chapitre III : La temporalité du monde
Chapitre IV : La temporalité de la Genèse
Chapitre V : De la métaphysique à la théologie biblique
Chapitre VI : Eléments pour une philosophie biblique de l'histoire
Epilogue
Excursus I : La notion de miracle
Excursus II : Notes sur la permanence de la gnose dans la philosophie occidentale
Excursus III : Traduction de Genèse III
Quelques citations :
"Lève la tête, ô Jérusalem, et vois ceux qui t'opprimaient, te reprochant sans cesse de léser les droits de la raison et d'importer des mythes irrationnels dans l'ordre hellénique. Que reste-t-il des arguments dont ils te fatiguaient ? Regarde, toi qui as conservé la foi : c'est le réel maintenant qui te donne raison." (p. 34)
"Si l'on nous avait demandé, voici quelques milliards d'années, si la vie animale, l'existence d'êtres aussi complexes et perfectionnés que l'homme, étaient possibles, nous aurions certainement répondu, devant l'univers physique, les galaxies gazeuses, la pauvreté des corps chimiques alors en présence, la terre déserte et vide : non." (p. 226)
"Les chrétiens du temps des Césars ont été condamnés à mort comme « athées ». Saint Justin répliquait : 'On nous appelle athée ; oui certes nous reconnaissons que nous sommes athées de ces soi-disant dieux'." (Apo, VI) (p. 37)
"La métaphysique biblique a été, dans l'historie des philosophies, en un sens la moins religieuse, puisqu'elle a été la plus libre de toute mythologie, de toute irrationnelle et affective, la plus pure de toute idolâtrie." (p. 38)