Ce qui nous frappe, lorsque nous observons l'univers et toutes les réalités qu'il contient (nous y compris), c'est que rien ne semble devoir sa propre existence à soi-même [1]. Tout ce qui existe dans le monde naît, croît, s'use et meurt. Rien ne semble éternel - tout paraît provisoire et passager.
De là, une question naît spontanément dans l'esprit de celui qui réfléchit aux réalités qu'il perçoit et découvre ; une question première, fondamentale - sans doute la toute première question, de laquelle découle toutes les autres que nous nous posons. Cette question première, fondamentale, que suggère l'existence même de l'univers, est : d'où vient que l'univers existe? D'où vient que nous existions - lors même que nous aurions dû ne pas exister, tant chacune de nos existences est improbable? [2]
De cette question, il existe un certain nombre de variantes. Par exemple, le "Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien" de Leibniz, dont Tresmontant n'aimait pas trop la formulation - qui laissait supposer qu'il puisse n'y avoir "rien" (ce qui est impensable à partir du moment où il existe quelque chose). Il préférait de loin cette formulation-ci : "N'y a-t-il que du monde, que de la nature?" ou bien"L'existence du monde seul est-elle pensable?" ou bien encore "Ce monde suffit-il?"
En filigrane transparaît une question subséquente : celle de l'Absolu. "Y a-t-il un Absolu, ou bien seulement du monde, du contingent, du multiple, du périssable? Et s'il y un Absolu, quel est-il? Est-ce le monde lui-même qui est absolu? Ou bien si le monde ne peut l'être, cet Absolu, qu'est-il donc? Pouvons-nous le connaître et comment?" [3]
Notons au passage que nous entendons ici le mot "Absolu" en son sens étymologique : qui ne dépend de rien ni de personne pour exister, pour être ce qu'il est comme il est. Compris en cette acception, la question fondamentale, première, peut-être formulée ainsi : "Le monde est-il l'Absolu ou bien ne l'est-il pas?" S'il ne l'est pas : "L'Absolu existe-t-il?" S'il existe : "Quel est-il?"
Un deuxième filigrane apparaît alors. Une question beaucoup plus "polémique" dans sa formulation - mais inéluctable. Une question qui ne laisse personne indifférent, et suscite beaucoup de passions. Cette question est : "Dieu existe-t-il?" Dieu s'entend ici de cet Absolu qui n'est pas le monde, et à qui le monde doit son existence. Il est l'une des alternatives possibles à l'absoluité du monde. Si le monde est l'Absolu, Dieu n'existe pas - car il ne peut exister deux Absolus. Si le monde n'est pas l'Absolu, et que l'Absolu n'existe pas, Dieu n'existe pas - car l'Absolu, il est. Si le monde n'est pas l'Absolu et que l'Absolu existe, alors Dieu existe. Il restera à chercher lequel - parmi toutes les propositions religieuses existantes ; c'est là une question ultérieure qui se posera naturellement, une fois que l'on aura admis l'existence de Dieu.
La question de l'existence de Dieu n'est donc pas une question "biaisée" - qui serait illégitimement introduite par quiconque préjugerait, avant toute analyse, l'existence de Dieu. Elle est posée par l'existence même de l'univers. C'est lui-même, l'univers, qui nous la pose. C'est l'univers qui nous présente "Dieu" comme l'une de ses sources possibles. On comprend mieux ainsi pourquoi cette question est aussi ancienne que le monde - ou à tout le moins : que l'homme. Parce que Dieu apparaît comme la seule alternative rationnelle à l'absoluité du monde [4]. Ou bien le monde est l'Absolu - il ne dépend de rien ni de personne pour être ce qu'il est comme il est. Ou bien il ne l'est pas. S'il ne l'est pas, Dieu existe - reste à savoir qui Il est.
[1] Cf. notre article du 2 novembre 2012, L'univers n'est pas créateur de lui-même.
[2] Cf. notre article du 23 septembre 2012, Notre vie est un miracle.
[3] Claude Tresmontant, in Essai sur la Connaissance de Dieu, Cerf 1959, p. 9.
[4] Je dis "rationnelle", parce que l'autre alternative (selon laquelle "l'Absolu n'existe pas") est absurde, ainsi que nous le verrons.