Dans son ouvrage de référence, Identité et Réalité, Emile Meyerson fait l'inventaire des résultats de la méthode déductive appliquée à la physique. Ses conclusions sont sans appel.
Au sujet de Descartes, Meyerson observe que "Toute tentative de déduction totale de la nature est restée lamentablement vaine. L'oeuvre de Descartes constitue sans doute l'effort le plus prodigieux que l'humanité ait tenté dans cet ordre d'idées. Devant cette construction colossale, cyclopéenne, on se sent pénétré d'un respect presque religieux. Mais hélas! ce palais est une ruine irrémédiable. Qui croit encore aux tourbillons cartésiens, aux trois matières élémentaires ou aux parties cannelées, toutes choses pour lesquelles il réclamait une 'certitude plus que morale'?" [1]
Meyerson évoque aussi le travail de Kant et des post-kantiens : "L'impuissance de la déduction pure éclate aussi dans l'oeuvre de Kant... Cependant, c'est sans doute l'oeuvre des métaphysiciens allemands de l'époque immédiatement postérieure qui offre la plus belle démonstration de la stérilité des spéculations aprioriques dans la science. Rien de plus instructif à cet égard (pour ne choisir qu'un petit nombre d'exemples particulièrement frappants) que les déductions de Schelling sur l'évaporation et la condensation de l'eau et sur l'ellipse comme trajectoire des corps célestes, celles de Hegel sur la réflexion et la polarisation, sur la nature de la lumière, sur le ralentissement des oscillations du pendule sous l'équateur, sur l'acide carbonique que la potasse 'produit dans l'air pour s'en saturer ensuite' ou sur la nécessité d'une lacune dans le système planétaire entre Mars et Jupiter"... [2]
Au final, "Quels ont été, au point de vue de la science, les résultats des efforts de déduction tentés par tant et de si puissants esprits?..." [3] La réponse s'impose d'elle-même : nuls ; absolument nuls...
Dans notre recherche de la vérité sur le monde et la nature, sur le sens de notre vie, il faudra utiliser une autre méthode que la méthode déductive : la méthode qui lui est radicalement opposée, dite inductive, qui exclut méthodologiquement tout a priori - tout préjugé sur le réel et le possible -, et qui prend comme point de départ de la réflexion philosophique non point la pensée du philosophe, les concepts forgés par son esprit, sa vision subjective du monde, mais le réel objectif exploré scientifiquement - et analysé rationnellement.
[1] Emile Meyerson, in Identité et Réalité, p. 457 - cité par Claude Tresmontant, in Les métaphysiques principales, François-Xavier de Guibert 1995, p. 280.
[2] Ibid.
[3] Ibid.