Beaucoup d’entre vous ne connaissent peut-être pas encore Claude Tresmontant. Il me paraît donc important de commencer à le situer dans les différents courants de pensée que l’histoire humaine a engendrés.
Si l’on reprend la typologie de notre auteur dans son ouvrage fondamental Les métaphysiques principales, il existe trois grandes thèses, trois grandes doctrines ou écoles principales, qui demeurent constantes à travers les siècles – en dépit de la diversité de leurs formes.
1°) La tradition moniste, qui s’enracine dans la pensée antique de l'Inde, et pour laquelle l’univers matériel et tout ce qu’il contient (vous, moi, y compris) n’a pas de consistance réelle, et dissimule en réalité un Être unique qui est le seul existant : le Brahman (ou l’Un, ou la Substance, selon la dénomination retenue).
Selon cette tradition, seul le Brahman existe. Il est l’Être nécessaire, qui ne dépend de rien ni de personne pour exister, sans commencement ni fin, qui ne vieillit pas et n’évolue pas. Rien n’existe en dehors de lui ; et tout ce qui n’est pas lui n’est qu’illusion et apparence (en l'occurrence : notre univers matériel, les êtres multiples – qui ne sont que des reflets, des émanations, des parcelles du Brahman).
2°) La tradition matérialiste, qui trouve son origine dans la pensée des plus anciens métaphysiciens grecs, et pour laquelle l’univers matériel n’est pas une illusion ni une apparence, mais l'unique réalité – la seule existante.
Selon cette tradition, c'’est lui, l’Univers (et non le Brahman) qui est l’Être nécessaire, ne dépendant de rien ni de personne pour exister, sans commencement ni fin, qui ne vieillit pas et n’évolue pas. Rien n'existe en dehors de lui.
3°) La tradition monothéiste enfin, qui commence avec les Hébreux environ 18 siècles avant notre ère, et pour laquelle l’univers existe bel et bien, et n’est pas une illusion – contre ce qu’affirme la tradition moniste ; mais n’est pas le seul être, l’Être nécessaire, ne dépendant de rien ni de personne pour exister, sans commencement ni fin, qui ne vieillit pas et n’évolue pas – contre ce qu’affirme la tradition matérialiste.
Pour le monothéisme hébreu, l’Être nécessaire, qui ne dépend de rien ni de personne pour exister, sans commencement ni fin, qui ne vieillit pas et n’évolue pas, qui est incréé, c’est Dieu ; l’univers, quant-à-lui, n’est pas incréé ; il n'est pas auto-suffisant, ni éternel, ni immuable ; il reçoit son être de Dieu, et il le reçoit progressivement dans le temps : il est en régime de création.
Tels sont les trois grands types de pensée qui émergent de la réflexion séculaire de l’homme sur l’univers et la réalité des choses.
Il y a : « 1. Ceux qui disent que l’Univers physique en réalité n’existe pas. Il est une illusion ou une apparence. L’Être absolu, le Brahman, est autre que l’Univers, qui n’est qu’une représentation, un rêve ou un cauchemar. [Il existe donc ici un seul type d'être : le Brahman - ou l'Un, la Substance...]
2. Ceux qui disent que l’Univers physique existe objectivement, réellement et que c’est lui l’Être absolu, l’Être unique, l’Être nécessaire. [Il existe donc ici un seul type d'être : l'Univers physique]
3. Ceux qui disent que l’Univers physique existe réellement et objectivement, mais que ce n’est pas lui l’Être absolu et nécessaire. » [Il existe donc ici deux types d'êtres : Dieu incréé, et l'Univers physique créé]
« (…) Ce sont [là] trois espèces de métaphysiques, ou, comme disent les zoologistes, des phyla. Un groupe zoologique ou phylum se définit par un certain message, le message génétique qui commande à la construction de ce groupe zoologique. Une métaphysique aussi se définit par un certain message. Toute la pensée humaine, depuis trente siècles, est constituée par l’évolution, les rencontres, les mélanges et les conflits entre ces trois métaphysiques fondamentales. » [1]
Claude Tresmontant s’inscrit pour sa part dans le courant de pensée monothéiste hérité du peuple hébreu, et consacrera l’essentiel de ses efforts à démontrer la conformité de la métaphysique biblique avec la réalité objective telle que les sciences positives nous la dévoilent – au contraire des deux autres courants métaphysiques qui s’avèrent incapables d’assumer et intégrer les enseignements que la connaissance expérimentale nous apporte, spécialement depuis le siècle dernier.
[1] Claude Tresmontant, Les Métaphysiques principales, François-Xavier de Guibert 1995, p. 9 et 13.