Les philosophes modernes se détournant avec dédain des sciences de la nature [1] - et n'y voyant pas là matière à réflexion -, les problèmes métaphysiques posés à l'intelligence humaine par l'univers physique ne sont guère plus aperçus aujourd'hui... que par les scientifiques eux-mêmes!
Un grand nombre de savants sont fascinés par le spectacle de la nature, par sa beauté, son harmonie, son intelligence (perceptible dans la plus petite cellule vivante)... à telle enseigne que beaucoup prennent conscience que l'univers, tel qu'il se présente à nos yeux, ne peut-être le fruit du néant ni du hasard. Beaucoup pressentent que la réalité empirique observée présuppose, pour être ce qu'elle est comme elle, l'existence d'un Être intelligent qui la dépasse et qui la fonde - celui-là même que les religions appellent "Dieu".
Ainsi, Charles Fehrenbach, savant de réputation internationale, directeur d'Observatoire, médaillé d'or du CNRS : "A mon avis, dit-il, le plus bel objet du monde, vu au télescope, est Saturne et son anneau : un astre d'une beauté absolument extraordinaire! Quand vous voyez cela, vous en avez le souffle coupé! Et vous vous dites : comment un tel système peut-il exister? Une si prodigieuse organisation, d'une si grande perfection? On sait qu'il existe, on ne sait pas pourquoi. Cet émerveillement vous touche bien sûr au fond du coeur. Il touche les croyants, mais aussi les non croyants. Bien sûr, je ne trouve pas Dieu parce que je suis astronome. Cependant, je reste croyant en étant astronome. Et ma foi n'est pas diminuée par le fait que je le suis. Loin de là." [2]
Les scientifiques, parce qu'ils sont en première ligne, perçoivent les problèmes métaphysiques ; et ils se posent, par la force des choses, les bonnes questions. Comme les philosophes, dont c'est pourtant le métier, refusent d'aborder ces problèmes métaphysiques (qu'ils décrètent insolubles et sans intérêt), la nature ayant horreur du vide : ce sont les scientifiques qui s'en chargent! Avec plus ou moins de bonheur...
Il y a ceux qui raisonnent bien, et qui parviennent à des conclusions parfaitement rationnelles. Je pense à des scientifiques comme Michaël Denton, Jean Staune, Bernard d'Espagnat, Trinh Xuan Thuan, Michaël Behe, Kenneth Miller, Igor et Grichka Bogdanov,... Le problème, c'est qu'ils ne font pas toujours très bien la distinction entre ce qui relève de leur discipline scientifique et le domaine métaphysique qu'ils abordent [3]. Certains peuvent ainsi avoir l'illusion de faire de la science - alors qu'ils font de la métaphysique [4]. S'ensuit une confusion des genres, préjudiciable au raisonnement métaphysique lui-même - qui se trouve déconsidéré par le seul fait qu'il se situe en dehors du champ des sciences expérimentales. Tous les auteurs précités (et bien d'autres, à leur suite) sont violemment critiqués par leurs confrères, parce qu'ils font, selon ces derniers, passer leurs thèses métaphysiques pour de la science. Et bien entendu, dans l'esprit de ces contempteurs : les thèses métaphysiques développées (le dessein intelligent, le réglage fin de l'univers, le principe anthropique...) n'ont aucun intérêt ni aucune pertinence sur le plan scientifique - puisque ce sont, pour eux, de pures élucubrations, des réflexions en l'air, comparables à celles de nos philosophes modernes... On retrouve là le bon vieux présupposé néo-positiviste d'Auguste Comte et de ses affidés, selon lequel "il n'y a de sciences que les sciences expérimentales ; (...) la métaphysique n'est pas une science mais relève de la littérature et de la mauvaise littérature" [5].
Mais il y a aussi, à l'inverse, des savants qui croient pouvoir contester les religions à partir des données de la science. Ces derniers raisonnent mal, parce qu'ils parviennent à des conclusions qui ne sont pas rationnelles. Ainsi, par exemple, Stephen Hawking [6], dont le dernier ouvrage soutient deux idées : l'une absurde ("l'univers se crée de lui-même, à partir de rien"), l'autre contradictoire avec la première ("l'univers se créé en toute logique des lois de la physique" - ce qui n'est pas "rien"...)! Et ceux-là ne sont pas moins imprudents que les premiers, lorsqu'ils affirment la scientificité de leur doctrine - puisqu'elle relève, elle aussi, de la métaphysique...
Les scientifiques qui s'efforcent de penser le monde à partir des connaissances particulières qu'ils en ont à raison de leur compétence, font sans doute bien de réfléchir ainsi et de partager leur conviction - quelle qu'elle soit. Ils se comportent en tous les cas en hommes normaux - non certes comme des scientifiques (puisqu'ils sortent de leur domaine de compétence), mais comme des hommes normaux (puisque l'homme, par nature, est un être métaphysique [7]). Puisque l'activité métaphysique de la raison est la chose la plus naturelle qui soit, il ne faut pas s'étonner que des scientifiques fassent de la métaphysique - d'autant moins, avons-nous dit, que les philosophes de profession préfèrent s'enfouir dans les bibliothèques et commenter les livres poussiéreux d'auteurs anciens (qui eux-mêmes ne s'intéressaient pas à la nature, ou en avait une conception aujourd'hui surannée).
Le problème, c'est qu'il manque à tous ces savants la formation technique pour bien penser - et distinguer les différents domaines de la connaissance. Or, "la philosophie, disait Bergson, comme tout le reste, cela s'apprend" [8].
Conclusions erronées (contradictoire et irrationnelles) de certaines réflexions métaphysiques de nos chers savants ; confusion des genres (entre la science - au sens moderne - et la métaphysique) ; déconsidération de l'activité métaphysique en tant que telle du seule fait qu'elle n'entre pas dans le champ des sciences expérimentales... voilà le paysage actuel dans toute sa désolation, les ruines fumantes qui demeurent après l'élimination de la métaphysique véritable par les philosophes modernes. De ce champ de bataille émergent les mauvaises herbes du néo-positivisme et de l'idéalisme - le second se prenant pour la seule philosophie possible, et alimentant le premier |9]!
Il est donc temps de remettre un peu d'ordre dans tout cela, et de revenir aux fondamentaux de la pensée. De réfuter définitivement l'idéalisme et sa méthode déductive - ce que nous allors tenter de faire avec Claude Tresmontant dans les articles à venir. De redonner ses lettres de noblesses à la métaphysique réaliste. Et de vider ainsi le néo-positivisme de toute sa vénéneuse substance - la réfutation de l'athéisme, dont le néo-positivisme est l'un des principaux vecteurs, constituant sans nul doute la part la plus importante et la plus novatrice de l'oeuvre métaphysique de Claude Tresmontant.
[1] Cf. notre article du 24 août 2011, Le dogme de la philosophie moderne.
[2] Cf. l'article paru sur le blog Totus Tuus le 20 juillet 2008, L'ordre de l'univers face au hasard.
[3] "L'hypothèse d'un créateur n'est plus hors du champ de la science", écrit Jean Staune dans son ouvrage (par ailleurs remarquable), Notre existence a-t-elle un sens.
[4] même si par certains aspects, bien entendu, l'on peut considérer la métaphysique comme une science, puisqu'elle nous communique une connaissance certaine du réel objectif - nous y reviendrons.
[5] Claude Tresmontant, in Les Métaphysiques principales, François-Xavier de Guibert 1995, p. 301.
[6] Cf. l'article paru sur le blog Totus Tuus le 5 septembre 2010, L'Univers a besoin d'un Créateur (une esquisse de réponse au conte mythologique de Stephen Hawking).
[7] "Si l'homme est autorisé à accomplir une démarche métaphysique, c'est parce qu'il est lui-même un être métaphysique. L'homme fait de la métaphysique - et il en fera toujours - parce qu'il est un animal métaphysique, parce qu'il est de la métaphysique en chair et en os. En effet, en tant qu'esprit, l'homme est essentiellement méta-physique, il est très littéralement "un être qui transgresse la nature". N'est-il pas, comme l'a si bien vu Pascal, le roseau pensant, plus précieux que l'univers entier, car, quand bien même l'univers l'écraserait, l'homme le saurait tandis que l'univers lui-même en demeurerait ignorant?" Mgr André Léonard, in Les raisons de croire, Communio Fayard 1987, p. 53.
[8] Cité par Roger Verneaux, in Introduction Générale et Logique, Beauchesne et ses Fils 1964, p. 7.
[9] "Puisque la philosophie est à leurs yeux (...) un galimatias perpétuel, une logomachie (...), que voulez-vous que fassent les savants, les chercheurs? Ils se replient sur leurs positions, ils restent dans leurs laboratoires, ils se cantonnent dans leurs sciences, dans leurs spécialités, et ils finissent pas penser, comme les philosophes régnants, qu'il n'y a de science que les sciences expérimentales, que la philosophie n'est pas une science, qu'il n'y a de rationnel que les sciences expérimentales, et que tout le reste est littérature. Autrement dit, le néo-positivisme des philosophes régnants engendre et en tout cas fortifie le néo-positivisme des savants. En somme, aujourd'hui, tout le monde est néo-positiviste." Claude Tresmontant, in Sciences de l'univers et problèmes métaphysiques, pp. 9 et 10. L'auteur ajoute que : "Lorsque quelque savant entreprend de spéculer philosophiquement sur sa science, comme le plus souvent, il n'a pas la formation requise - car l'analyse philosophique implique et requiert une technique, et donc un apprentissage - le plus souvent, le résultat n'est pas fameux"...