Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
6 mai 2012 7 06 /05 /mai /2012 16:35

Il nous reste à évaluer les résultats de la méthode déductive, dans sa prétention à dire le réel en amont de toute expérience sensible.

 

Claude Tresmontant évoque à ce sujet l'exemple emblématique de René Descartes. Le philosophe français entendait déduire sa physique et sa biologie de sa métaphysique élaborée a priori [1]. Avec quel succés?

 

Nous le savons, la philosophie de Descartes est mécaniste : la nature est comparée à une machine fabriquée de mains d'homme - elle est intelligible à partir de ce présupposé.

 

"Je suppose que le corps n'est autre chose qu'une statue ou machine de terre, que Dieu forme tout exprès, pour la rendre la plus semblable à nous qu'il est possible : en sorte (...) qu'il met au dedans toutes les pièces qui sont requises pour faire qu'elle marche, qu'elle mange, qu'elle respire, et enfin qu'elle imite toutes celles de nos fonctions qui peuvent être imaginées procéder de la matière, et ne dépendre que de la disposition des organes. Nous voyons des horloges, des fontaines artificielles, des moulins, et autres semblables machines, qui n'étant faites que par des hommes, ne laissent pas d'avoir la force de se mouvoir d'elles-mêmes en plusieurs diverses façons." [2]

 

"Je désire, écrit Descartes à la fin de son traité de L'Homme, que vous considériez, après cela, que toutes les fonctions que j'ai attribuées à cette machine, comme la digestion des viandes, le battement du coeur et des artères, la nourriture et la croissance des membres, la respiration, la veille et le sommeil... : je désire, dis-je, que vous considériez que ces fonctions suivent naturellement, en cette machine, de la seule disposition de ses organes, ne plus ne moins que font les mouvements d'une horloge, ou autre automate, de celle de ses contrepoids et de ses roues ; en sorte qu'il ne faut point à leur occasion concevoir en elle aucune autre âme végétative, ni sensitive, ni aucun autre principe de mouvement et de vie, que son sang et ses esprits, agités par la chaleur du feu qui brûle continuellement dans son coeur, et qui n'est point d'autre nature que tous les feux qui sont dans les corps inanimés." [3]

 

Lorsqu'en 1628, William Harvey démontra expérimentalement que la poussée du sang vers les sorties du coeur provient de sa contraction active, Descartes s'opposa de toutes ses forces à cette découverte qui révélait une activité propre d'un organe physique, et contredisait sa théorie mécaniste du corps humain. Dans une lettre adressée au P. Mersenne, le 9 février 1639, Descartes écrivait à propos de Harvey : "Vous me mandez qu'un médecin italien a écrit contre Herveus de motu cordis... Bien que ceux qui ne regardent que l'écorce jugent que j'ai écris le même qu'Herveus, à cause de la circulation du sang, qui leur donne seule dans la vue, j'explique toutefois tout ce qui appartient au mouvement du coeur d'une façon entièrement contraire à la sienne... Cependant, je veux bien qu'on pense que, si ce que j'ai écris de cela, ou des réfractions, ou de quelque autre manière que j'ai traitée en plus de trois lignes dans ce que j'ai fait imprimer, se trouve faux, tout le reste de ma philosophie ne vaut rien"... [4]

 

On ne saurait mieux dire...

 

Pareillement, Descartes s'opposa vivement à Beeckman qui affirmait que la lumière met du temps pour se propager. Voilà qui offensait gravement sa philosophie, et ne pouvait donc être vrai... A moins que... "Vous souteniez, au contraire, que la lumière ne peut se mouvoir que dans un intervalle de temps ; et vous ajoutiez que vous aviez imaginé une expérience qui ferait bien voir lequel de nous deux se trompait... Je disais au contraire que, si on percevait un tel retard, ce serait l'écroulement de toute ma philosophie"... [5]

 

Et si nous prenions enfin Descartes au mot - plutôt que de l'ériger, dans les facultés, en modèle indépassable de la rationalité? [6]

 

Telle est la méthode cartésienne : le philosophe met au jour sa connaissance des choses par un raisonnement "pur", antérieur à toute expérience, à partir du seul cogito, du "moi" qui se connaît immédiatement lui-même. Puis il déduit de cette connaissance primordiale, de ses principes métaphysiques posés a priori, des popositions cosmologiques, physiques, biologiques...

 

... qui s'avèrent fausse lorsqu'elles se trouvent affrontées au réel...

 

Ainsi Descartes déduisait-il de ses présupposés que l'étendue du monde est infinie, ou que l'energie se conserve toujours en égale quantité dans l'univers...

 

Comme Leibniz le disait déjà : "Si Monsieur Descartes avait donné moins à ses hypothèses imaginaires et s'il s'était attaché davantage aux expériences, je crois que sa physique aurait été digne d'être suivie"... [7]

 

Jean Rostand se montrera extrêmement sévère envers la métaphysique cartésienne, qui rejette dédaigneusement les données de l'expérience lorsqu'elles contrarient ses théories : "Que Descartes, en dépit de tout son génie, ait été un piètre physiologiste, qu'il ait multiplié les erreurs, prodigué les naïvetés et les bévues de toutes sortes, tant à propos de la circulation du sang qu'à propos de la formation du foetus ou du fonctionnement de l'appareil nerveux, il n'y a là rien de bien surprenant, encore que déjà, de son temps, quelques hommes de science aient, en utilisant la méthode expérimentale, commencé de prendre la bonne route vers la compréhension des phénomènes vitaux. Mais ce qui frappe, en son cas, frappe le lecteur d'aujourd'hui, c'est le ton péremptoire qui lui est propre, c'est la façon tranchante dont il affirme, dont il décide, dont il disserte de ce qu'il ignore, dont il veut imposer comme des certitudes logiques les "imaginations" et les hypothèses qu'il déduit d'un système créé de toutes pièces." [8]

 

Le physicien contemporain Bernard d'Espagnat ne sera pas moins critique envers la méthode déductive du philosophe français : "Descartes voudrait que la structure du monde physique fût, pour l'essentiel, entièrement déductible par la raison sans aucun recours à nos sens. L'échec presque complet de la physique cartésienne, le nombre de ses prétendues "déductions" qui n'en sont pas et qui sont fausses, montrent que les plus puissants esprits ne peuvent découvrir la vérité en employant cette méthode." [9]



[1] cf. notre article du 8 août 2011, La métaphysique de René Descartes.

[2] René Descartes, L'Homme, Ed. Adam-Tannery, XI, p. 119, cité par Claude Tresmontant, in Sciences de l'univers et problèmes métaphysiques, Seuil 1976, p. 163

[3] René Descartes, op. cit.p. 121, cité par Claude Tresmontant, op. cit.p. 164

[4] René Descartes, Lettre à Mersenne, 9 février 1639, Ed. Adam-Tannery, II, p. 500-501, cité par Claude Tresmontant, op. cit.p. 164-165

[5] René Descartes, à Beeckman, 22 août 1634, Ed. Adam-Tannery, I, p. 308, cité par Claude Tresmontant, op. cit.p. 165

[6] cf. notre article du 24 août 2011, Le dogme de la philosophie moderne.

[7] Leibniz, à Philippi, Philosophischen Schriften, Ed. Gerhardt, IV, p. 282, cité par Claude Tresmontant, op. cit.p. 167

[8] Jean Rostand, préface au livre du Dr L. Chauvois, Descartes, sa Méthode et ses Erreurs en physiologie, Paris, 1966, p. 7, cité par Claude Tresmontant, op. cit.p. 165-166

[9] Bernard d'Espagnat, Conceptions de la physique contemporaine, Ed. Hermann, Paris, 1965, p. 113, cité par Claude Tresmontant, op. cit.p. 167.

Partager cet article
Repost0
5 mai 2012 6 05 /05 /mai /2012 12:00

Chers amis,

 

En exclusivité absolue sur ce blog, voici la 10e partie d'une interview audio donnée par Claude Tresmontant en décembre 1996, quatre mois seulement avant sa mort.

 

Interrogé par Jérôme Dufrien - qui nous a fait l'honneur et la grâce de nous confier la diffusion de ce document exceptionnel -, Claude Tresmontant revient sur les grands thèmes de son oeuvre.

 

Dans ce nouvel extrait que nous publions aujourd'hui, Claude Tresmontant nous dit un mot du Pape Jean-Paul II.

      

 

Dans le prochain extrait que nous publierons le 5 juin prochain, Claude Tresmontant nous livrera son analyse du problème de l'avortement.

Partager cet article
Repost0
21 avril 2012 6 21 /04 /avril /2012 11:25

Un lecteur nous fait l'amitié de nous partager un témoignage tout à fait étonnant - et touchant - concernant notre cher Professeur. Celui de la psychanalyste Eva Fuzessery, paru dans son autobiographie "Le Tango de l'Archange - de Budapest au 5 rue de Lille".

 

Dans cet ouvrage, l'auteur nous révèle qu'elle a été élève de Claude Tresmontant et rapporte quelques souvenirs le concernant. Tresmontant l'aurait aidé et conseillé pour étudier Saint Thomas d'Aquin qui l'effrayait un peu, sa langue maternelle n'étant pas le Français, mais le hongrois. Il lui a aussi écrit une lettre d'encouragement qu'elle publie et qui s'avère chargée de tendresse :

 

"Un professeur de philosophie remarquable enseignait alors à la Sorbonne : Claude Tresmontant. A la fin d'un cours, désemparée devant ma difficulté à aborder les philosophes, de Parménide à Bergson, je lui confessais ma crainte d'un échec assuré... Cet homme de mérite, non seulement a su m'entendre, mais il m'initia à une méthode particulièrement rigoureuse, me demandant de lui rendre compte de mon travail de lecture de "La Durée" de Bergson par écrit. Il me présenta à un petit groupe de quatre étudiants avec qui je pouvais m'exercer aux dissertations.

 

"Nourrissez-vous bien, disait-il, ça vous donnera de l'énergie, l'excellent groupe de travail vous aidera dans les devoirs écrits."

 

"Dans mon studio minuscule comme une chambre de bonne, rue Saint-Dominique, mes pensées esquivaient tant bien que mal les murmures teintés d'angoisse ricochant contre les parois de ma solitude. Comprenait-il ma souffrance ? L'idée m'effleura que lui aussi aurait pu traverser des épreuves... sa présence et ses encouragements se déposèrent tel un petit caillou blanc sur le chemin de mon isolement... (…)

 

"Quant aux cours de Claude Tresmontant et à sa manière très moderne d'aborder la philosophie et la religion au regard de la science, ils étaient pour nous, chaque semaine, un moment d'enrichissement. Nous avons ainsi assisté de près à l'élaboration d'un de ses ouvrages édités au Seuil.

 

"Après lui avoir remis mon premier compte-rendu de lecture, il me retourna un petit mot resté entre les pages d'un livre... Attaché à un article de journal, le bloc-notes de François Mauriac qui faisait son éloge, jauni par le temps, il vint glisser à mes pieds un soir, un peu par hasard...

 

« Faculté des lettres et sciences humaines,

 21 décembre.

 

Chère Mademoiselle,

 voici un petit compliment qui, je l'espère, paraîtra suffisant.

 S'il ne l'est pas, dites-le-moi, je l'améliorerai.

 Notez, de plus, qu'il est sincère !

 Et je n'ai pas parlé de votre merveilleuse écriture...

 Courage donc, travaillez bien, et quand vous serez dans les hautes sphères de la science, des arts ou des lettres, souvenez-vous d'un moniteur de philosophie qui, comme Joseph dans la prison de Putiphar, vous a prophétisé les plus hautes réussites.

 

Cl. Tresmontant. »

 

"Si ma belle écriture d'étudiante manquait de trait et de caractère, son compliment me laissa dans un embarras singulier...

 

"Cependant sa lettre, son mot lumineux, pareil à l'étincelle d'un improbable météore dans l'obscurité du ciel de mon exil, traçait un chemin vers l'avenir fait de confiance et de dépassement.

 

« Tresse mon temps », c'est ainsi qu'il prononçait son nom. Il m'aida sûrement à tresser le mien en m'inscrivant dans ma durée, confortant la poursuite de mon cursus universitaire.

 

"Je lui adresse [aujourd'hui] un petit clin d'oeil vers l'éternité..."

Partager cet article
Repost0
15 avril 2012 7 15 /04 /avril /2012 17:16

Arnaud Dumouch, professeur de religion et de théologie catholique en Belgique, nous introduit, dans une admirable série de clips, à la philosophie réaliste héritée d'Aristote et de Saint Thomas d'Aquin - tradition dans laquelle notre cher Professeur, Claude Tresmontant, s'inscrit résolument. Il nous livre ainsi les clefs pour comprendre les rouages de la pensée de Claude Tresmontant.

 

Dans cette quatrième vidéo, Arnaud Dumouch nous parle du moteur de la philosophie, qui est l'admiration devant le réel.

 

Partager cet article
Repost0
9 avril 2012 1 09 /04 /avril /2012 00:00

L'un des grands pontes de la méthode déductive, le philosophe allemand Emmanuel Kant, estime que l'esprit humain peut concevoir a priori toutes les choses possibles - et donc toutes les choses existantes, puisque seules peuvent exister les choses possibles.

 

Nous avons vu dernièrement que cette idée était fausse [1] : que l'esprit humain ne peut déduire de son seul raisonnement le champ des possibles ; que celui-ci nous est découvert par l'expérience ; et que bien des choses qui nous paraissaient impossibles à un moment donné se sont avérées possibles plus tard, du fait du progrès de nos connaissances.

 

L'erreur fondamentale de Kant consiste à penser que l'idée du possible jaillit spontanément dans l'esprit du philosophe, sans aucun recours à aucune donnée extérieure. Rappelons-nous que, pour le philosophe allemand, la nature est une matière brute, un chaos indéterminé - qu'elle n'est pas informée [2]. Puisqu'elle n'est pas informée, elle n'a rien à nous apprendre - aucune information à nous communiquer. C'est au contraire l'esprit humain, raisonnant en lui-même, qui insuffle de l'information à la matière brute et lui donne sa forme intelligible.

 

Autrement dit : pour Kant, la source ultime de toute information et de toute connaissance réside dans la Raison du philosophe, non dans le réel objectif exploré scientifiquement, qui ne peut rien y ajouter. Selon lui, l'existence n'est pas un prédicat ("Das dasein ist gar kein Prädikat") [3] : elle n'apporte rien de plus à la connaissance des êtres conçus comme possibles - elle ne change rien à leur essence.

 

Prenez Jules César, nous dit Kant. Considérez-le en tous ses aspects, en toutes ses déterminations, y compris celles de temps, d'histoire, de géographie... qui le caractérisent. Vous obtiendrez un "Jules César" qui peut tout aussi bien exister et ne pas exister. Il est ainsi une infinité de choses que nous considérons comme possibles, mais qui n'existent pas. Si celles-ci viennent à exister, elles ne reçoivent rien de plus que ce que nous pouvions connaître d'elles en leur possibilité, avec toutes leurs déterminations. Aucun prédicat ne leur manquait - et l'existence n'apporte rien de plus à la connaissance des choses que nous ne savions déjà par la pensée rationnelle.

 

Pour réfuter cette assertion, Claude Tresmontant prend le philosophe allemand au mot [4] : "Obéissons et faisons ce que dit Kant. Prenons ce brave Jules César et tentons d'énumérer tous ses prédicats, tout ce qu'on peut dire de lui : ce fut un homme, pourvu de telle anatomie, telle physiologie, telle biochimie, telle neuro-physiologie ; ce fut un italien ; ce fut un militaire, etc. ; ce fut un grand écrivain, etc. Il a vécu à telle époque, il a parcouru telles régions, etc.

 

"Kant nous dit : rassemblez toutes ces déterminations et vous allez bientôt comprendre qu'avec toutes ces déterminations, il peut exister ou ne pas exister!

 

"En réalité, l'idée que nous nous faisons de Jules César, d'après tous les documents et les monuments que nous pouvons étudier, cette idée qui est la nôtre, plus ou moins exacte, plus ou moins incomplète, est tirée d'un homme qui a existé! (...) Et par conséquent, l'existence faisait bien partie des déterminations concrètes de cet homme existant, puisque Jules César n'était pas un mythe. Nous sommes partis de Jules César existant pour nous en faire une idée, et l'existence faisait bien partie des déterminations ou des caractères de Jules César existant. Nous n'avons pas à nous demander si, avec toutes ces déterminations, sauf celle de l'existence, Jules César peut exister, ou ne pas exister. Nous savons (...) qu'il a existé (...). L'existence ne se surajoute pas au Jules César possible, au concept de Jules César, à l'idée de Jules César. Parce qu'en réalité, l'idée que nous nous faisons de Jules César est tirée de Jules César existant!

 

"Kant a commencé par transformer ce brave Jules César existant en Jules César purement possible, et ensuite il conclut qu'il ne manque rien à l'idée de Jules César si on ne lui accorde pas l'existence!

 

"S'il n'y avait pas eu de Jules César, si Jules César n'avait pas existé, nous n'en aurions aucune idée, parce que notre idée de Jules César est tirée de Jules César qui a existé (...).

 

"Kant transforme par l'imagination un être réel, qui a été réel, Jules César, en pur possible, et ensuite il se demande comment l'existence a été surajoutée à ce pur possible. Il suppose donc que Jules César possible précède, dans le monde des idées pures, Jules César réel. En réalité, l'idée que nous pouvons nous faire d'un Jules César possible, est postérieure au Jules César qui a réellement existé, et tout ce que nous mettons dans notre idée du possible Jules César, nous l'avons emprunté à celui qui a été Jules César existant."

 

Comme l'écrivait Henri Bergson, dans son ouvrage Le Possible et le Réel [5] : "Au fond des doctrines qui méconnaissent la nouveauté radicale de chaque moment de l'évolution... il y a surtout l'idée que (...) la possibilité des choses précède leur existence. Elles seraient ainsi représentables par avance ; elles pourraient être pensées avant d'être réalisées. Mais c'est l'inverse qui est la vérité... Car le possible n'est que le réel avec, en plus, un acte de l'esprit qui en rejette l'image dans le passé une fois qu'il s'est produit..." 

 


[1] Cf. notre article du 21 janvier 2012, Du possible au réel?

[2] Cf. notre article du 27 novembre 2011, 3e présupposé de la méthode déductive : La nature n'est pas informée 

[3] Emmanuel Kant, in "Le seul et unique fondement possible d'une démonstration de l'existence de Dieu", Insel Verlag, I, p. 630, cité par Claude Tresmontant in Les métaphysiques principales, François-Xavier de Guibert 1995, p. 290.

[4] Claude Tresmontant in Les métaphysiques principales, op. cit., p. 291-292.

[5] Henri Bergson, in "Le Possible et le réel, la Pensée et le Mouvant", p. 109, cité par Claude Tresmontant in Les métaphysiques principales, op. cit., p. 292-293. 

Partager cet article
Repost0
7 avril 2012 6 07 /04 /avril /2012 20:28

"L'homme fait de la métaphysique comme il respire,

sans le vouloir et surtout sans s'en douter la plupart du temps."

 

(Emile MEYERSON).

Partager cet article
Repost0
5 avril 2012 4 05 /04 /avril /2012 12:00

Chers amis,

 

En exclusivité absolue sur ce blog, voici la 9e partie d'une interview audio donnée par Claude Tresmontant en décembre 1996, quatre mois seulement avant sa mort.

 

Interrogé par Jérôme Dufrien - qui nous a fait l'honneur et la grâce de nous confier la diffusion de ce document exceptionnel -, Claude Tresmontant revient sur les grands thèmes de son oeuvre.

 

Dans ce nouvel extrait que nous publions aujourd'hui, Claude Tresmontant nous parle du déterminisme.

      

 

Dans le prochain extrait que nous publierons le 5 mai prochain, Claude Tresmontant nous dira un mot du Pape Jean-Paul II.

Partager cet article
Repost0
1 avril 2012 7 01 /04 /avril /2012 19:15

Essai sur la connaissance de DieuParu en 1958, Essai sur la connaissance de Dieu (214 pages) est une étude pour le moins ambitieuse qui « n'est pas sans comporter aux yeux de la philosophie du siècle quelque ridicule » (p. 8) puisqu’elle entend fournir des réponses claires à la question métaphysique classique centrée sur l’existence de Dieu.

 

Si l’essai compte parmi les plus riches du métaphysicien, son exigence première reste indéfectible : « Nous demanderons seulement deux choses : l'exercice de la raison, et l'expérience. » (p. 9)

 

De même, le lecteur idéal n’a pas changé : « Un homme pour qui le monde extérieur compte. Un solide rationaliste « matérialiste » et scientiste. Tel est notre interlocuteur préféré. Nous ne pouvons entreprendre un dialogue avec un schizophrène, qui met en doute l'existence du monde extérieur, l'existence de son propre corps, l'existence de tout, et même de sa raison. » (p. 10)

 

La catastrophe Kant

 

En 1997, peu avant sa mort, Claude Tresmontant s’entretenait sur Radio Notre Dame en présentant la pensée de Kant comme une "catastrophe", très exactement aux antipodes du judaïsme et de l’Eglise de Rome.

 

Ces mots sont durs si l’on oublie la déconstruction implacable de la philosophie kantienne que Tresmontant a souvent opérée tout au long de ses essais, comme c’est le cas ici. D’ailleurs, jamais il ne sera aussi minutieux à son égard.

 

La première partie met l’accent sur « la connaissance de Dieu à partir du monde, abstraction faite du phénomène Israël. »

 

Avec Bergson, il saisit l'occasion de souligner combien le néant que l’on entend partout ne se voit, en réalité, nulle part :

 

« Bergson, dans des analyses célèbres, a montré que non seulement le néant était impensable, mais qu'il était impensé. Nous ne pensons jamais le néant, et le mot néant ne recouvre aucune pensée. Il y a toujours de l'être dans notre pensée du néant, au moins l'être du sujet qui, par la pensée, annihile toutes choses. » (p. 21)

 

Cette pseudo-idée du néant est un point d’ancrage qui lui permet d’approcher l’a priori de Kant sur la raison, axe déterminant de sa déconstruction, laquelle vise à relever les présupposés de la critique kantienne :

 

« Cette pensée qui me vient, et qui est mienne, elle me vient, certes, « elle monte à mon cœur » comme disent les Hébreux mais je ne puis dire légitimement que j'en sois le créateur absolu ; la pensée qui me vient est aussi un don, un don auquel je coopère, un don qui est le fruit de moi-même conçu au plus profond de moi-même, mais cependant un don comme moi-même, car de moi, de ce je, je ne suis pas le créateur. Je suis à moi-même un don. » (p. 28)

 

En définitive, la méthode de Kant réduit la raison à un organon autonome, lui-même restreint à un strict usage empirique et incapable de transcender l’ordre expérimental. Kant ne cherche jamais à savoir si l’âme est créée ou incréée. Il met la question entre parenthèses. Même s’il lui reproche de faire de la raison humaine une « machine dont on puisse démonter les pièces une par une, et dont on puisse mesurer le pouvoir » (p. 45) Tresmontant admet que son doute méthodique est fécond si et seulement si ce dernier reconnaît ne pas être son propre créateur, auquel cas il se condamnerait à une neutralité totalement déconnectée des exigences de la pensée elle-même, rattachée à l’identité, c’est-à-dire, en dernière instance, à l’être avec tout ce qu’il implique dans son inachèvement. Or, c’est bien ce qui pose problème ici. La critique kantienne est fondée sur « sur une séparation factice et non critiquée entre l’esprit connaissant et l’être. » (p. 73)

 

De plus, si l’agnosticisme est méthodologique « cohérent, valable, utile » (p. 54), Tresmontant montre qu’on ne suspend pas à proprement dit son jugement, en sorte que l’agnosticisme ne peut être que méthodologique, jamais ontologique, sauf peut-être dans la philosophie de l’absurde ; comme l’écrit Meyerson : « L'homme fait de la métaphysique comme il respire, sans le vouloir et surtout sans s'en douter la plupart du temps. » (De l'explication dans les sciences)

 

De fait, l’être n’est pas réservé à l’homme et « l'univers, comme nous-mêmes, est incapable de rendre compte de son existence. Il est, c'est un fait, mais c'est un fait qui n'a pas en soi sa justification. Si on objecte qu'il n'y a pas à chercher la justification ontologique de ce fait, mais qu'il suffit de la constater, je réponds que par là on renonce à l'exercice de l'intelligence dans sa démarche métaphysique. » (p. 82/83)

 

Sans se contenter de répondre à Kant, Tresmontant engage de nouvelles perspectives pour penser la raison elle-même. La pensée n’est pas un acte solitaire.

 

« La critique kantienne pose le problème de la connaissance dans une problématique, une hypothèse, de solitude. Rien d'étonnant à ce qu'elle ne puisse sortir de cette solitude primitivement posée. » (p. 195)

 

Il rejoint les observations d’André de Muralt ; dans son monumental ouvrage L’unité de la philosophie politique – de Scot, Occam et Suarez au libéralisme contemporain, il révèle cette tradition occamienne présente aussi chez Kant, selon laquelle la raison serait une potentia ordinata Dei, souvenir du volontarisme scotiste : la volonté est soumise à la loi morale a priori, limitée sinon aliénée à elle-même.

 

Quoi qu’il en soit, « la connaissance, pas plus que l'existence et la vie, n'est l'acte de l'homme seul, car l'homme n'est pas incréé. » (p. 196)

 

Le « geste » marxiste

 

Pour définir les réflexes psychologiques de chaque métaphysique, Tresmontant préférait utiliser le mot "geste" ; en effet, on retrouve dans des milieux totalement différents du globe une métaphysique qui ressemble à une autre, lesquelles sont toutes traversées par un "geste". C’est le cas pour la "métaphysique" marxiste dont on parle trop peu et qui renferme pourtant toute son approche du réel. Quand bien même elle fut la philosophie à la mode de son époque, Tresmontant demeure intransigeant à son égard :

 

« Marx et Engels sont partis des présupposés de la métaphysique de l'idéalisme allemand, et ont évacué la doctrine de l'aliénation et du devenir de l'Absolu. Ils ont reporté la doctrine de l'aliénation du plan métaphysique ou mythique au plan économique et politique. Mais ils ont gardé de l'idéalisme allemand, et du spinozisme, la thèse fondamentale : l'Univers est incréé. L'idée de création, pour Marx comme pour Spinoza, comme pour Fichte, est "l'erreur fondamentale absolue" (Fichte, Initiation à la vie bienheureuse, 6e conférence). Marx veut que la conscience populaire se délivre de cette idée d'une création. Il reconnaît que c'est une représentation très difficile à arracher de la conscience commune (Nationalökonomie und Philosophie, X, pagination de Marx) » (p. 85/86)

 

Il anéantit également le célèbre reproche de Marx à propos de "l'aliénation religieuse" : « La doctrine biblique et patristique de la création ne vise pas à écraser l'homme, à la réduire à la condition infamante d'esclave dépendant, mais à la diviniser, – c'est la doctrine de la théiôsis. »

 

Le Dieu de l’Ancienne Alliance…

 

Scandale pour les Grecs, l’expérience de la divinisation est davantage abordée dans la seconde partie qui porte le titre « De la connaissance de Dieu à partir d'Israël (abstraction faite du phénomène chrétien) ».

 

D’abord, Tresmontant insiste sur l’ancrage historique du prophétisme hébreu, sa manifestation concrète :

 

« La différence, décisive, entre le livre sacré d'Israël et les livres sacrés des religions du monde réside en ceci : le livre sacré d'Israël est le recueil d'actes et d'archives qui relatent une expérience historique opérée en plein jour, à ciel ouvert, à la face du monde. Ce n'est pas un livre qui prétend initier à des secrets transcendants au nom d'une Gnose invérifiable. C'est un livre d'expérience concrète, historique. Et cette expérience historique se continue... » (p. 143)

 

C’est l’occasion de revenir sur un des clichés du Dieu-colérique, infantile, qui est en réalité « un feu dévorant. Dieu est jaloux pour nous de cette vocation qui est la nôtre, et il ne veut pas que nous nous contentions à moindres frais d'une destinée de larve. […] La colère de Dieu est le nom même de l'amour de Dieu qui ne tolère pas la vanité, l'injustice, le crime de l'homme contre l'homme et contre lui-même. » (p. 158)

 

Il est inutile de revenir sur cette seconde partie. Le Prophétisme hébreu, la Doctrine morale des prophètes d’Israël sont plus détaillés sur cette question de l’Ancien Testament.

 

… qui ne fait qu’un avec le Dieu de la Nouvelle Alliance.

 

La dernière et troisième partie s’intitule « De la connaissance de Dieu à partir du Nouveau Testament » et entend synthétiser toutes les étapes franchies jusqu’ici.

 

D’abord, Tresmontant rappelle son amour de l’intelligence (qui ne lui appartient pas), amour indissociable de la foi chrétienne, laquelle ne sépare jamais l’intelligence de l’amour, ni l’intelligence de la foi. Il faut insister sur ce point : la foi est un assentiment de l’intelligence à ce qui est vrai. Par conséquent, elle n’a définitivement rien à voir avec la crédulité sentimentale comme peuvent en être convaincus même bien des catholiques qui adoptent souvent cette attitude fidéiste ou protestante sans s’en rendre compte :

 

« C'est à l'intelligence que constamment Jésus fait appel. Il la sollicite ; le reproche constant dans sa bouche, c'est : "Ne comprenez-vous pas, n'avez-vous pas l'intelligence ?" Ne croyez-vous pas encore ? ajoute-t-il aussi. Cette foi qu'il sollicite n'a rien d'une crédulité. Cette foi, c'est très précisément l'accès de l'intelligence à une vérité, la reconnaissance de cette vérité, le oui de l'intelligence convaincue, et non on ne sait quel sacrificium intellectus. C'est bien à notre intelligence que Jésus s'adresse, et non à notre crédulité. Contrairement à ce que certains voudraient nous faire croire, la crédulité et la faiblesse du jugement ne sont nullement agréables à Dieu. La vérité n'a nul besoin que l'homme s'abêtisse, ni qu'il saborde sa raison, qui lui est au contraire nécessaire pour atteindre à la connaissance de Dieu. […] Ce que le Maître du Nouveau Testament nous demande, ce n'est pas « d'humilier » notre raison, mais de l'ouvrir, et de comprendre. » (p. 180/181)

 

Le Christ n’est pas Spartacus

 

Encore aujourd’hui, « Certains reprochent à Dieu de n'avoir pas adopté le style impérial dans sa manifestation. Au lieu d'une naissance dans une étable à Bethléem, ils auraient préféré une descente solennelle et tonitruante sur la place publique de la grande Ville, de Rome, la capitale de l'Empire. Le style de Dieu n'est pas le style impérial, ni le style napoléonien... […] Dieu ne descend pas sur l'humanité avec une armée d'archanges. Il naît dans l'humanité, inaperçu comme toute naissance. […] Le Dieu d'Israël n'a pas besoin de nous jeter de la poudre aux yeux, comme les faux dieux inventés par les hommes. Sa puissance s'allie à la douceur, et il se manifeste dans la douceur et dans le silence, dans un "murmure doux et léger" (I Rois 19,12) » (p. 199)

 

Tresmontant fait observer que le Christ ne saurait lui-même, quand il se manifeste, s'affubler des oripeaux du clinquant et de la vanité.

 

« Jésus interdit le plus souvent à ceux qu'il guérit de le proclamer ; il demande le silence à ses disciples sur ce qu'ils découvrent de lui. » (p. 200)

 

Une bonne fois pour toutes, Tresmontant nous invite à sortir de ce cliché du Dieu niais de la Nouvelle Alliance ; le Dieu du Nouveau Testament est le même que Celui de l’Ancien Testament : Dieu terrible, en même temps que Dieu aimant. « Qui a voulu faire de Jésus ce maître efféminé et sucré, alors qu'il est le Maître terrible qui se découvre aussi bien dans les Evangiles que dans l'Apocalypse de Jean ? » (p. 200/201)

 

Sans être dans la complaisance pour l'abjection, Il est exigence de sainteté.

 

Citations

 

« La raison n'est pas un organon. C'est une exigence, mais une exigence dont nous ne pourrons connaître le dernier mot que lorsque nous aurons achevé la science. » (p. 37)

 

« Cette beauté, ce luxe de la création, indique qui est Dieu : il n'est pas ce dieu avare et triste, rancunier et comptable, mesquin, que veulent nous imposer tant de traités de spiritualité. Dieu est jubilation, son oeuvre qui le manifeste est jubilation. Sans aller jusqu'à parler d'un caractère dionysiaque, ce qui pourrait introduire des confusions, disons cependant que ce caractère dionysiaque que les anciens avaient aperçu dans la création est bien l'oeuvre du Créateur. Ce don de la femme qui est fait à l'homme, ce n'est pas le don d'un dieu chagrin, puritain, ni jaloux. » (p. 113)

 

Sur le problème du mal et de la mort : « Ne voir que l'horreur, comme les gnostiques, et déclarer que la création est foncièrement mauvaise, c'est délirer : c'est oublier toute la part de paix et de beauté de la vie. » (p. 115/116)

 

« Pour qu'il y ait problème du mal, souffrance et mort, il faut d'abord qu'il y ait vie. » (p. 112)

 

Sur la spécificité du christianisme : « Notons simplement ici la différence radicale qui existe entre l'idée chrétienne d'incarnation, et le thème, fréquent dans les religions aussi bien de l'Inde que de la Grèce, d'une manifestation d'un dieu à l'homme sous une apparence humaine. Les manifestations des divinités, dans la tradition indienne par exemple, peuvent être, d'abord, en nombre illimité. Selon certains théosophes hindous, Jésus est une de ces manifestations de l'Absolu, au même titre que d'autres, antérieures ou postérieures. Dans la perspective chrétienne, cette incarnation de l'Absolu est unique. Mais là n'est pas la différence la plus importante. Dans la perspective chrétienne, l'Absolu vient, dans ce monde qui est son oeuvre, se manifester en naissant à l'intérieur de l'humanité, en assumant pleinement l'humanité : pleinement Dieu, pleinement homme ; vraiment Dieu, et vraiment homme. Dieu n'a pas assumé une apparence d'humanité, mais l'humanité réelle et concrète. Le Christ est consubstantiel au Père, selon la divinité, et consubstantiel à nous, selon l'humanité, semblable à nous en tout, sauf le péché (= le crime). En cela, l'idée chrétienne d'incarnation, explicitée au concile de Chalcédoine, se distingue radicalement de toutes les théophanies des religions non-chrétiennes. » (p. 188/189)

 

Plan de l’ouvrage

 

Introduction

Première partie : De la connaissance de Dieu à partir du monde, abstraction faite du phénomène Israël

Deuxième partie : De la connaissance de Dieu à partir d’Israël, abstraction faite du phénomène chrétien

Troisième partie : De la connaissance de Dieu à partir du Nouveau Testament

 

 

Se procurer l'ouvrage - Voter pour sa réédition

Partager cet article
Repost0
18 mars 2012 7 18 /03 /mars /2012 12:06

Arnaud Dumouch, professeur de religion et de théologie catholique en Belgique, nous introduit, dans une admirable série de clips, à la philosophie réaliste héritée d'Aristote et de Saint Thomas d'Aquin - tradition dans laquelle notre cher Professeur, Claude Tresmontant, s'inscrit résolument. Il nous livre ainsi les clefs pour comprendre les rouages de la pensée de Claude Tresmontant.

 

Dans cette troisième vidéo, Arnaud Dumouch, nous livre une petite histoire de la philosophie (décomposée en quatre grands âges). 

 

Partager cet article
Repost0
5 mars 2012 1 05 /03 /mars /2012 18:00

Chers amis,

 

En exclusivité absolue sur ce blog, voici la 8e partie d'une interview audio donnée par Claude Tresmontant en décembre 1996, quatre mois seulement avant sa mort.

 

Interrogé par Jérôme Dufrien - qui nous a fait l'honneur et la grâce de nous confier la diffusion de ce document exceptionnel -, Claude Tresmontant revient sur les grands thèmes de son oeuvre.

 

Dans ce nouvel extrait que nous publions aujourd'hui, Claude Tresmontant nous parle de la vie chrétienne au quotidien - un enseignement à méditer, particulièrement en ce temps du Carême.

      

 

Dans le prochain extrait, que nous publierons le 5 avril prochain, Claude Tresmontant nous parlera du déterminisme.

Partager cet article
Repost0

Présentation

  • : Le blog Claude Tresmontant
  • : Blog consacré à l'un des plus grands métaphysiciens catholiques du XXe siècle, qui démontra le caractère irrationnel de l'athéisme.
  • Contact

Visiteurs actuels

Recherche

Dailymotion

Les vidéos de claude-tresmontant sur Dailymotion

Archives